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LE BUDGET NATIONAL DE L’AN 1 DE KANAKY

Au delà de la rhétorique, des grandes envolées lyriques et des incantations, comment se présenterait concrètement le budget national de Kanaky en l’an 1 du nouvel Etat ? L’exercice proposé est évidemment incomplet et … très optimiste.

En effet, les estimations qui suivent ne prennent en compte que les conséquences mécaniques du retrait de la France, et donc du financement des compétences régaliennes, ainsi que des soutiens financiers aux collectivités de la République.

Il faudrait, pour une vision plus juste de la catastrophe, y ajouter plusieurs facteurs aggravants : la fuite des capitaux et de l’épargne (passée de 8 milliards à plus de 30 milliards) privant les banques de collecte locale, la baisse de la consommation avec les inévitables départs du territoire, la chute du pouvoir d’achat et des importations dès l’adoption de la monnaie de Kanaky (une chute prévisible de 40% par l’abandon du FCFP accroché à la monnaie forte que constitue l’euro), et, bien sûr, l’effondrement économique provenant de la chute de la consommation, de la commande publique et des soutiens financiers de la défiscalisation « Bercy » (20 milliards FCFP).

175 MILLIARDS DE MOINS POUR DES DÉPENSES PUBLIQUES GLOBALES DE 365 MILLIARDS
Pour avoir des chiffres concrets sur les interventions budgétaires et financières de la France en Nouvelle-Calédonie, il suffit de se référer au document officiel que constitue le Rapport d’Activité 2018 des Services de l’Etat en Nouvelle-Calédonie. Ce document a été publié le 27 décembre 2019. Il est consultable librement en ligne.

Les services de l’Etat que l’on nomme régaliens correspondent aux personnels rémunérés par le budget français, les frais de fonctionnement, les investissements.

Ils comprennent les services de la Justice, y compris, évidemment la Justice administrative, les services de finances, des comptes publics, de la monnaie (services du Haussariat, IEOM, Chambre Territoriale des Comptes etc …), les services de la sécurité des biens et des personnes (Police Nationale, Gendarmerie, sûreté aérienne, sécurité maritime), les services des Relations Extérieures (ambassades, consulats, présence et coopération militaire), les services de Recherche, d’Education, d’Insertion professionnelle, de Culture, de Sport (Université, enseignements publics et privés, enseignement agricole, Service militaire adapté-RSMA, enseignement agricole, Cadres Avenir, communication audio-visuelle, interventions en matière de Culture et de Sport).

Il faut y ajouter les Contrats de Développement, ainsi que les quasi-subventions de l’Etat au titre des défiscalisations de Bercy.

9035 PERSONNELS RÉMUNÉRÉS PAR LA FRANCE
Ces services sont effectués par des personnels civils et militaires. On compte ainsi, en Calédonie, 2947 personnels de l’enseignement public, 1503 personnels de l’enseignement privé, 216 personnels de l’Université, 890 gendarmes, plus de 500 policiers, 1699 personnels des Forces Armées, ou encore 181 personnels du Centre Pénitentiaire.

Au total, la France emploie et rémunère 9035 personnels en Nouvelle Calédonie.

DÉPENSES DE LA FRANCE EN NOUVELLE-CALÉDONIE : 175 MILLIARDS
La rémunération de ces personnels, le fonctionnement des services, les investissements et les interventions budgétaires et financières de l’Etat s’élèvent à la coquette somme de 175 milliards FCFP.

Les seules pensions et retraite servies par des caisses françaises se montent à près de 20 milliards. 86 milliards sont consacrés aux personnels des administrations et opérateurs de l’Etat, auxquels il faut ajouter 10 milliards de dépenses de fonctionnement !

La fameuse défiscalisation « Bercy » correspond à une injection de près de 20 milliards dans l’économie calédonienne …

LES RESSOURCES DU BUDGET DE KANAKY AN 1
L’exercice de l’ensemble de ces services publics devrait ainsi être assuré par le nouvel Etat Kanaky s’il voyait le jour. Comme on le voit, les dépenses de la France ne se résument pas à quelques interventions dans les collectivités comme l’avait annoncé bien légèrement un « spécialiste » de l’indépendance.

Amputé de ces financements de la France, quelles seraient les ressources budgétaires de Kanaky ?

Elles se limiteraient aux ressources fiscales propres du nouvel Etat qui étaient estimées en 2020, à quelques 190 milliards de FCFP. Ce montant permet le financement des collectivités locales : la Nouvelle-Calédonie avec les administrations du gouvernement et leurs interventions, les provinces et les communes. S’y ajoutent les Chambres Consulaires et les établissements publics.

Ces ressources estimées devraient évidemment tenir compte de la situation de l’économie calédonienne. C’est en effet le secteur privé qui assure l’essentiel de la ressource fiscale. L’effondrement économique prévisible rend ainsi difficilement crédible le maintien des recettes publiques locales au chiffre de 190 milliards.

UN EFFONDREMENT DES BUDGETS, DE L’ENSEIGNEMENT ET DE LA SANTÉ
Combler une « perte » de 175 milliards avec un budget de 190 milliards, même les plus fervents idéologues auront du mal à prétendre que ce sera chose possible. Le budget de Kanaky An 1 ne pourra se limiter à « des coupes sombres » : il devra abandonner des pans entiers de l’intervention publique.

Il lui faudra, en premier lieu assurer la mission éducative de l’Etat Kanaky, une mission qui coûte aujourd’hui 60 milliards pour l’enseignement secondaire public,  l’enseignement primaire et secondaire privé, ainsi que l’enseignement supérieur.  Impossible, sauf à supprimer, par exemple, la plupart des établissements publics (63 milliards), tels l’Ocef, l’Apican, ou l’Agence sanitaire et sociale. Impossible, également, dans ces équilibres, de maintenir de toute façon la totalité des budgets consacrés à l’enseignement qui devront chuter vertigineusement. Il est probable que, dans cette hypothèse, l’école devrait devenir payante.

Quant à l’Université, il paraît impossible de la maintenir dans l’hypothèse de Kanaky : pas de budget !

En matière de couverture sociale et de santé publique, difficile d’imaginer que pourrait perdurer un dispositif qui, aujourd’hui, est un des plus performants du Pacifique. Le Médipôle (budget de 30 milliards) devrait partiellement fermer. Et trouver des médecins. Une certitude, en tout cas, le régime des retraites serait en danger car l’équilibre des comptes sociaux, au niveau actuel, serait impossible à réaliser.

Pour ce qui concerne la Justice, la Sécurité, la Monnaie, les Relations Extérieures et la Défense, un budget de misère pourrait être dégagé des ressources locales pour constituer des embryons de services régaliens de Kanaky. Mais les ressources fiscales du nouvel Etat n’étant pas extensibles, il faudrait alors couper drastiquement dans les budgets des provinces et des communes.

En clair, le budget de Kanaky An 1 devrait faire, en étant optimiste, avec 190 milliards de CFP, ce qui est aujourd’hui réalisé avec … 365 milliards. Une  boucherie budgétaire.

QUAND L’ETAT ÉCRIT LA VÉRITÉ, LES INDÉPENDANTISTES LE JUGENT « PARTIAL » !

A l’évidence, les précisions que l’Etat a officiellement apportées aux électeurs calédoniens du référendum du 4 octobre, ne conviennent pas aux indépendantistes. Ces derniers estiment, une nième fois, que le gouvernement français est partial. Ce n’est pas nouveau : au début de la crise sanitaire, l’Union Calédonienne avait même demandé le départ du Haut-Commissaire et du Général Commandant Supérieur des Forces Armées. Pourtant, la note de deux pages sur les conséquences du « Oui » et celles du « Non » ne fait que rappeler quelques réalités. Ne dit-on pas que c’est la vérité qui fâche ?

LA PÉRIODE DE TRANSITION, en cas de victoire du « Oui », est l’un des quelques points sur lesquels les indépendantistes auraient souhaité obtenir une réponse plus complaisante. Quelques années, par exemple, histoire de ne pas effrayer les Calédoniens par un passage trop brutal dans Kanaky, avec tout son cortège de ruptures.

Las, comment la France pourrait-elle prendre des engagements avec un Etat … qui n’existe pas ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : en cas de victoire du « Oui » le 4 octobre au soir, Kanaky serait dotée d’une souveraineté pleine et entière, et devrait s’organiser selon les décisions de ses nouveaux dirigeants.

Le France serait donc bien imprudente de s’engager, dès à présent, sur des questions qui échapperaient totalement à sa compétence, et pour lesquelles elle pourrait être désavoué de manière cinglante !

POUR L’INDÉPENDANCE DE DJIBOUTI, LA PÉRIODE DE « TRANSITION » A DURÉ UN MOIS !
C’est le 27 juin 1977 que le Territoire des Affars et des Issas a proclamé son indépendance. Or le référendum d’autodétermination avait eu lieu le 8 mai 1977.

La période de « transition » s’est donc résumée à … 1 mois.

On peut supposer que celle supposée de Kanaky, toujours en cas de victoire du « Oui », durerait quelques mois de plus. Le délai concernerait surtout l’éventuel nouvel Etat, la France pouvant rapidement rapatrier ses personnels, ses intérêts, et le cas échéant, ses militaires.

KANAKY DEVRAIT S’ORGANISER RAPIDEMENT, même si à l’évidence à part quelques incantations, un brouillon de Constitution et d’institutions a déjà été avancé. La réalité serait plus complexe. Constituante, détermination de la nouvelle citoyenneté, mise en place des nouvelles institutions et nouvelles élections, précèderaient le vote de tous les budgets de Kanaky.

LE CASSE TÊTE BUDGÉTAIRE
Mais surtout, un point dérange considérablement les indépendantistes : la précision selon laquelle les accords de financement contenus dans l’Accord de Nouméa seraient « caducs ». C’est qu’il faudrait, pour le nouvel Etat, procéder le plus rapidement possible à l’établissement des budgets 2021.

Or, la caducité des engagements financiers de la France toucherait, non seulement les compétences régaliennes, mais également l’enseignement primaire et secondaire privé, l’enseignement secondaire public, l’enseignement supérieur et l’Université, ainsi que toutes les subventions accordées au territoire, aux provinces et aux communes.

Au delà des belles déclarations, il faudrait, pour Kanaky, « faire » avec 170 milliards CFP de moins, et probablement, avec également une fiscalité locale en chute libre. Autrement, contrairement aux déclarations indépendantistes lénifiantes, surviendrait une catastrophe financière et budgétaire, qui plongerait sans délai la population de Kanaky dans la tourmente.

UNE DOUBLE NATIONALITÉ ILLUSOIRE – Pour rassurer les incrédules, les indépendantistes auraient probablement souhaité que la double nationalité, française et de Kanaky, soit facilitée en cas d’accession à l’indépendance. Ce n’est pas ce qu’indique le document de l’Etat. Car le sujet n’est pas simple, et ce serait d’abord au nouvel Etat d’organiser la protection de ses ressortissants porteurs du passeport de Kanaky, considérés immédiatement comme des étrangers par la France. Contrariant, mais c’est la règle.

Quant à la double nationalité pour « certains », c’est le Parlement français qui en déciderait ultérieurement, et non préalablement. Une double nationalité éventuelle qui serait, comme dans toutes les accessions à l’indépendance passées, distribuée au compte goutte.

Adieu alors le libre accès à l’ancienne métropole comme à l’Europe, et bienvenue dans une situation analogue à celle notamment des pays africains, pourvoyeurs d’immigrés et de sans papiers sur le sol français.

C’EST TOUT CE QUE NE DISENT PAS LES RÊVEURS qui prêchent la « libération » de la Nouvelle-Calédonie. Tout comme ce professeur d’une Université qui le nourrit, rabâche une rhétorique des années 60 et 80 qui fleure bon la décolonisation de ces époques.

Mais aujourd’hui, dans un monde globalisé et impitoyable, les petits Etats « libérés » quémandent quelques aides, et s’en sortent difficilement. La preuve : comment Kanaky qui naîtrait le 5 octobre pourrait-elle simplement maintenir le système de soins et de protection sociale actuel, et encore plus simplement, le système éducatif ?

Le tort du document de l’Etat vertement critiqué par les indépendantistes, c’est probablement de ne pas garantir que tout se passerait un peu comme avant … au cas où la Nouvelle-Calédonie accèderait à l’indépendance. En français, cela se dit « vouloir le beurre, l’argent du beurre, et la crémière avec » !