Sous le titre « Il faut éviter l’impasse politique et sociale vers laquelle la Nouvelle-Calédonie se dirige en cas de nouveau référendum », le journal « Le Monde » a publié mercredi une Tribune écrite par Sonia Backes.
Dans ce texte, la cheffe de file des Loyalistes, présidente de l’Assemblée de la province Sud, met d’abord en exergue les dangers d’un troisième référendum repoussé à 2022. Instrumentalisation politique, et radicalisation des postures entre indépendantistes et non indépendantistes sont des risques pointés par Sonia Backes qui évoque celui d’une « déstabilisation sur l’élection présidentielle ».
« En votant en 2021, écrit la responsable politique, les Calédoniens pourraient enfin lever le voile de l’incertitude qui pèse sur leur avenir depuis trop longtemps. Ils pourront ainsi travailler dès la fin de cette année à la construction de leur avenir commun ».
Mais pour autant, Sonia Backes continue à appeler à éviter le « vote couperet », lequel serai précédé d’une campagne référendaire encourageant la « radicalisation des discours et des actions« . Elle prône, au contraire de ce « vote couperet », « le pari du bon sens et de l’intelligence« .
« Je formule ainsi le souhait, conclut-elle, que les conclusions de nos futurs échanges servent de fondements pour imaginer, baliser et emprunter, avec les indépendantistes et l’Etat, un nouveau chemin commun. Un chemin dans lequel la gouvernance de la Nouvelle-Calédonie est plus claire et efficace, lui évitant de connaître 17 gouvernements différents en deux décennies. Un chemin où les différences géographiques et sociales sont respectées grâce à des provinces renforcées, car elle sont l’échelon poilitique le plus efficace pour administrer la vie des Calédoniens. Un chemin où les relations avec la France s’établissent dans le temps long et en bonne intelligence : manifeste et rassurante pour les uns, respectueusement distance et responsabilisante pour les autres« .
Les délégations qui se sont rendues à Paris, à l’invitation du Premier ministre, dans le cadre de la préparation du troisième référendum ont entamé leur parcours. Le noyau central de discussion est celui du groupe dit « Leprédour ». Seuls Paul Néaoutyne et Victor Tutugoro ont décliné l’offre, et par conséquent, aucun représentant de l’Uni-Palika n’est au rendez-vous. Quant aux autres membres du groupe, ils sont accompagnés, soit d’une véritable délégation, soit pas. Enjeux.
LES PARTICIPANTS Au total, ce sont donc, côté Union Calédonienne, Roch Wamytan, Jacques Lalié et Daniel Goa qui sont présents. Ils sont accompagnés par Gilbert Tyuienon, Mickael Forest, Pascal Sawa, Jean Raymond Postic, Ronald Frère et Thierry Bolo. Côté Avenir en Confiance, Sonia Backes, Thierry Santa et Pierre Frogier sont là. Ils sont accompagnés par Virginie Ruffenach, Gil Brial, Alcide Ponga, Brieux Frogier et Willy Gatuhau. Côté Calédonie Ensemble, enfin, Philippe Gomes et Philippe Dunoyer sont présents. Gérard Poadja est également à Paris. Nicolas Metzdorf et Mailakulo Tukumuli ont été invités in extremis.
LA MAIN TENDUE DU PREMIER MINISTRE Le Premier ministre Jean Castex avait lancé, en avril dernier, une invitation aux acteurs politiques calédoniens à se rendre à Paris pour « une session d’échanges et de travail«
Il avait laissé à Sébastien Lecornu le soin de déterminer le format, les thématiques et l’organisation de ce rendez-vous important. Le Premier ministre avait toutefois indiqué dans son invitation : « Alors que les Accords de Nouméa prévoient la possibilité d’une nouvelle consultation, l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie reste à écrire. Le dialogue est plus que jamais nécessaire et le gouvernement de la République souhaite y prendre toute sa part« .
Dans la lettre du chef du gouvernement, point de coercition, une ouverture totale, et après les inacceptables violences de novembre/décembre, une main tendue au FLNKS. Dans ces conditions, et alors que le parti de Paul Néaoutyne prône une indépendance « en partenariat avec la France », on comprend mal la fin de non recevoir de l’Uni-Palika.
LES POINTS CLÉS DE LA « SESSION D’ÉCHANGES ET DE DIALOGUE » Comme dans toute réunion de ce type, certains points pourraient se rajouter à l’ordre du jour initial. Mais il ne fait de doute pour personne que le cœur de la rencontre proposée est à la fois, le prochain référendum, et les suites qui en résulteront pour la Nouvelle-Calédonie et ses populations.
Il s’agira d’abord de fixer la date de la troisième consultation. 2021 ou 2022 ?
Les Loyalistes la veulent le plus rapidement possible pour sortir le territoire de ses incertitudes et du marasme économique et social qui en résulte. Au Sénat, Les Républicains partagent ce point de vue. Côté indépendantiste, l’Uni-Palika avait d’abord indiqué sa préférence pour 2021, craignant l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République, et, dans cette hypothèse, une situation bien plus compliquée pour les séparatistes. Mais le parti de Paul Néaoutyne s’est apparemment rallié à la position de l’Union Calédonienne favorable à 2022, histoire de tenter de gommer le trouble de ses électeurs consécutif aux violences liées à la reprise de l’usine du Sud, et à l’indifférence manifestée par le FLNKS au malheur des familles menacées de chômage, une indifférence exprimée par le fameux « tant pis » de Victor Tutugoro.
L’Etat est prêt aux deux éventualités : un scrutin à organiser en 2021 comme en 2022. Mais … le gouvernement de la République est, quant à lui, partagé. Alors que la campagne présidentielle est lancée, et que le résultat s’annonce très « chaud » pour l’éventuelle candidature d’Emmanuel Macron, la prudence est de règle. Elle commande de repousser le référendum, ses conséquences et les possibles troubles qui suivront à septembre 2022.
Il s’agira ensuite d’aborder les conséquences du référendum. En cas de victoire du « Non » comme de celle du « Oui ».
C’est cette dernière qui pose aujourd’hui le plus d’interrogations. L’Etat, jusqu’à présent, ne s’est guère « mouillé » pour indiquer sa position face à une Nouvelle Calédonie qui aurait opté pour l’indépendance. Mais cette fois, le gouvernement dit tout. (lire notre article sur les conséquences du « oui » et du « non »). Tout sur les relations financières et économiques, tout sur le maintien d’une présence militaire, tout sur l’hypothétique double nationalité, tout sur une possible coopération. De quoi refroidir quelques idéologues indépendantistes qui s’évertuent à affirmer que pour les beaux yeux de Kanaky-Nouvelle Calédonie, la France continuera à « cracher au bassinet » …
Quant aux conséquences du « Non », elles sont, si l’on peut dire, presque négligeables. Certes, les Loyalistes ne pouvaient arriver à Paris les mains vides en matière de projet sur la nécessaire évolution institutionnelle, après la fin de l’agonisant Accord de Nouméa. Mais si le « Non » l’emporte, ce n’est jamais, dans les mois qui suivront, que la continuité du régime existant, et l’assurance de la solidarité nationale au sein de la République. Il sera alors temps de se pencher sur un nouveau statut.
UN RENDEZ-VOUS PARISIEN QUI PROVOQUE DES EFFETS SPECTACULAIRES DANS LES DEUX CAMPS CALÉDONIENS Le rendez-vous parisien proposé par Jean Castex -et souhaité par Emmanuel Macron- a produit des effets assez spectaculaires, au moins dans le milieu politique calédonien.
Côté indépendantiste, c’est la guerre froide. Certes, elle fait suite au conflit né de l’accord unanime signé sur la reprise de l’usine du Sud, aggravé par celui relatif à l’élection avortée du président indépendantiste du gouvernement. Mais pour la réunion de Paris, le Palika, en la boycottant, s’est totalement désolidarisée de l’Union Calédonienne qui s’y est déplacée en nombre, même s’il s’agit, selon elle, uniquement « d’écouter« .
Chez les Loyalistes au sein desquels comme dans tout regroupement politique émergent des égos, la synthèse a, semble-t-il, été réalisée. D’abord sur la date du référendum, demandée en 2021, ensuite sur les orientations d’une évolution statutaire vers un fédéralisme provincial marqué par un pouvoir provincial essentiel, tout en préservant l’unité du territoire. La position commune sur cette question, est plutôt remarquable, en raison des divergences initiales. Un rapprochement des points de vue pour lequel Sonia Backes n’a pas ménagé ses efforts.
Calédonie ensemble, de son côté, est plus vague sur sa vision institutionnelle future. Toutefois, en l’absence de perspective de solution statutaire consensuelle, Philippe Gomes avait pris position pour un scrutin organisé dès 2021.
QU’ATTENDRE DE CETTE RÉUNION ? En politique, la surprise est fréquente, la logique parfois surclassée, et le cartésianisme, maltraité ! Alors qu’attendre de cette « session d’échanges et de partage » ? Le plus vraisemblable est la fixation de la date du prochain scrutin référendaire. Ce sera déjà ça ! Pour le reste, on peut imaginer que la problématique minière et métallurgique du nickel sera abordée. Il en va notamment de l’avenir à court terme de la SLN et de KNS. L’état des finances publiques et des comptes sociaux ne peut échapper à quelques « échanges », tant les interventions de l’Etat paraissent nécessaires à court terme.
Peut être, au total, sont-ce des éléments de discussion qui gênaient le Palika. Incapable d’imposer, pour l’instant, la candidature de Louis Mapou à la présidence de l’exécutif, il aurait été l’illustration de l’impéritie indépendantiste. Et pire, au gré des difficultés du territoire nécessitant la bienveillance de la France, les indépendantistes montreront tout simplement qu’ils ne sont pas prêts pour une indépendance qu’ils réclament. Une situation malaisée alors que s’est ouverte la campagne électorale référendaire.
Le président du Congrès, Roch Wamytan, a invité tous les habitants de Nouvelle-Calédonie à prendre connaissance du document exposant les conséquences du « oui » et celle du « non » au prochain référendum. En l’état, ce document était confidentiel, avant les discussions ouvertes à Paris à l’invitation du Premier ministre. Une fuite provenant « de travaux en interne » avait abouti à une large diffusion des 44 pages consacrées à ces sujets, sur les réseaux sociaux. C’est à la suite de cette « fuite » que le président du Congrès a réagi.
Vous trouverez ci-dessus la version intégrale du document qui a « fuité ». Nous reviendrons sur les différents chapitres pour en livrer un décryptage.
Le document « Dis moi oui, dis moi non » sur la suite du référendum va commencer à décoiffer. C’est en quelque sorte « dis moi tout ». Tous les cas de figure, évoqués sans fard, y sont décrits avec une froide précision juridique et financière. Ils sont glaçants tant leur énoncé fait apparaître dans quel enfer la Nouvelle-Calédonie serait plongée en cas d’indépendance, loin des discours lénifiants et faux des séparatistes. Ils mettent en évidence l’état d’impréparation des indépendantistes face à l’hypothèse de l’indépendance.
Parmi les morceaux choisis, celui des fonctionnaires relevant de l’Etat est intéressant. Cela concerne au total 9500 personnels pour une dépense salariale de 109 milliards CFP. Certains sont simplement rémunérés par l’Etat comme les personnels de l’enseignement secondaire public et les personnels du primaire et du secondaire privé, d’autres relèvent de la fonction publique d’Etat.
Les militaires, armée de terre, de l’air, de mer, ainsi que les gendarmes n’auront évidemment pas vocation à rester sur le territoire. Il en va de même pour les autres personnels, comme les douaniers, les contrôleurs aériens ou encore les policiers nationaux.
Il est donc précisé que ces personnels seront affectés sur le territoire national français en cas d’indépendance. Accessoirement, il en sera de même pour l’Université.
Pour les enseignants relevant de statuts locaux, la question sera de trouver les 46 milliards servant à les rémunérer, dont le paiement actuel par la France cessera dès l’indépendance.
Pour des établissements comme NC1ère, la situation sera quasiment analogue. Dans l’hypothèse de l’indépendance, il reviendra au nouvel Etat « de financer ou non un service audiovisuel public« .
Cette chaîne « fait partie intégrante du groupe France Télévisions qui dispose d’un budget propre alloué par l’Etat (financé essentiellement par le produit de la redevance des contribuables métropolitains) et compte des salariés soumis à un régime légal spécifique et au code du travail« .
En clair, France Télévisions opère sur le sol français et bouclera ses bagages en cas d’indépendance. Les personnels pourront être affectés dans d’autres stations sur le sol national français. Certains, évidemment, pourront choisir de basculer dans l’éventuel audio-visuel local. Aujourd’hui, la charge budgétaire de NC1ère supportée par France Télévisions est de 2,8 milliards CFP …
A quoi sert d’attendre puisque deux consultations successives d’autodétermination ont déjà eu lieu en tout juste deux ans et demi ? Une procédure unique au monde ! La seule raison de fixer une date pour la troisième consultation en octobre 2022 serait la volonté exprimée d’aboutir à une nouvelle solution consensuelle. Puisque les indépendantistes ont officialisé leur décision de refuser cette option, il est désormais urgent d’achever un processus imaginé par les signataires des Accords de Nouméa, et qui devient clairement ubuesque. Le plus rapidement possible, dès cette année.
LE TROISIÈME RÉFÉRENDUM : TOUT LE MONDE EST PRÊT Deux référendums entre novembre 2018 ont permis de roder le système. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour que l’Etat déclenche toutes les procédures patiemment mises au point : mobilisation des magistrats, déplacement des observateurs de l’Onu, déploiement des moyens de sécurité, contrôle des opérations. Quant aux communes, c’est un jeu d’enfants, pour elles, d’installer les bureaux de vote nécessaires.
Dans de telles conditions, et puisque n’existe aucun alternative politique, rien ne peut s’opposer à la sortie d’un processus qui ressemble de plus en plus à une impasse.
METTRE FIN AU CHAOS AMBIANT La Nouvelle-Calédonie a besoin de sortir dans les meilleurs délais du chaos dans lequel elle se trouve, un chaos qui, fort heureusement, ne se traduit pas par des désordres plus grands grâce à l’intervention de la France. Ce chaos, certes, n’affecte plus l’ordre public, après les débordements liés à la reprise de l’usine du Sud. Mais le territoire est en très mauvaise situation économique, sociale et politique.
Au plan politique, elle est un bateau ivre, avec un gouvernement bloqué depuis 3 mois par une rivalité mortifère entre les partis qui souhaitent l’indépendance dans quelques mois. Le Congrès évolue au gré des majorités de circonstance et des humeurs du moment.
Les finances publiques se trouvent dans une situation catastrophique, avec un budget pris en main par l’Etat. Sans une subvention généreuse de 10 milliards accordés par la France au titre de la solidarité Covid, elles seraient ingérables.
L’économie est sous perfusion. Des dizaines d’entreprises ont mis, discrètement, la clé sous la porte. Des centaines d’employés se sont retrouvés silencieusement au chômage. Le système économique de la province Nord est en danger. La SLN s’en sort tout juste. Le bâtiment n’a plus de perspectives, ni de commandes.
Quant à la situation sociale, elle est plombée par le « trou » géant de la Cafat, dont les effets sur le système de Santé va rapidement de faire sentir, au détriment des patients et des professions de santé. Inutile, par ailleurs, d’évoquer le Covid qui aurait définitivement « coulé » le territoire sans les interventions financières et sanitaires de l’Etat.
Attendre n’aboutirait qu’à une aggravation de la situation, et ce n’est pas l’action d’un nouveau gouvernement « fin mal barré » qui changerait grand chose. Si la main de l’Etat tremblait encore, c’est que ses dirigeants auraient aussi mal estimé la situation calédonienne, qu’ils ne l’ont fait du Covid.
La Nouvelle-Calédonie est comme un grand bus. Il est conduit de manière particulière par la France et l’ensemble des Calédoniens, et cela se passe plutôt bien. Les indépendantistes veulent en prendre le contrôle, mais ils ne sont pas capables de conduire ce bus. Un jour peut être, qui sait ? Mais dans les temps actuels, en 2021 ou en 2022, ils ne sont pas prêts à assumer cette « souveraineté pleine en entière » qu’ils revendiquent. NoumeaPost, dans un dossier technique de 13 chapitres, passera en revue de manière aussi objective que possible, les 13 matières essentielles qui poseraient de graves problèmes en cas d’indépendance.
TREIZE DOMAINES ESSENTIELS Bien entendu, toute indépendance est possible si l’on ne s’interdit pas le désordre, et la régression des populations. Possible, mais pas forcément viable. Sauf pour les dirigeants … Certaines indépendances, d’ailleurs, ont été assumées par les populations parce que les puissances administrantes avaient fait bien peu pour leurs anciennes colonies. Près de chez nous, le Vanuatu peut illustre ce propos. Placé sous le régime d’un condominium franco-britannique pendant près d’un siècle, son accession à l’indépendance n’a guère changé la vie de ses populations pour lesquelles, la France et la Grande Bretagne n’avaient pas apporté de grands progrès.
La Nouvelle-Calédonie n’est pas dans ce cas, et elle n’est plus une colonie. A bien des égards, sa situation reflète celle d’un pays moderne et développé. Mais ce n’est qu’un reflet, entretenu par le fait qu’elle fait partie de la sixième puissance mondiale. Ainsi, elle s’auto-administre tout en bénéficiant des garanties essentielles en matière de cohésion humaine, des technologies les plus modernes, de pouvoirs régaliens puissants, de transferts financiers publics considérables assurés par la France.
Une rupture poserait de graves problèmes dans treize domaines essentiels : la cohésion des peuples, les finances publiques, la protection sociale, la santé, l’enseignement, la formation professionnelle, la petite et moyenne industrie, la mine et la métallurgie du nickel, la sécurité intérieure, la Justice, la défense, la monnaie, et les relations internationales
L’UNI AVAIT THÉORISÉ KANAKY-NOUVELLE CALÉDONIE DANS UN DOCUMENT ASSEZ COMPLET Dans un document pré-référendaire à la première consultation, l’Union Nationale pour l’Indépendance (Uni-Palika), avait édité « Kanaky-Nouvelle Calédonie un Etat souverain en Océanie« . Dans cet ouvrage de 106 pages, le parti indépendantiste y donne sa vision construite du nouvel Etat revendiqué. Le FLNKS avait fait de même dans « Le projet du FLNKS pour une Kanaky-Nouvelle Calédonie souveraine« .
A la différence de l’Union Calédonienne, l’Uni estime que « pour sortir de la colonisation française par le haut, un accord de partenariat entre KNC et la France est une nécessité politique et une perspective logique« .
VIABILITÉ D’UNE INDÉPENDANCE : PAS D’EXPLICATION SUR LES MOYENS Mais si les institutions, les principes démocratiques et les attributs du nouvel Etat souverain y sont assez largement exposés, les moyens d’en assurer la viabilité ne le sont pas.
Le bonheur des populations, le fonctionnement du nouvel Etat en sont pourtant étroitement dépendants. La raison : l’exercice théorique ne peut répondre à la réalité économique et sociale du quotidien des nouveaux nationaux Kanak. L’explication : les tenants de l’indépendance ne sont pas prêts.
Sébastien Lecornu l’a affirmé : l’Etat est en capacité d’organiser le troisième référendum soit en fin 2021, soit au plus tard en octobre 2022. Il est cependant important, pour lui, que les électeurs soient, cette fois, parfaitement informés de conséquences « intangibles » de l’indépendance pour les Calédoniens. Et sans doute préfèrerait-il un certain consensus sur la date. Mais la réalité technique est là : cette troisième consultation pourrait avoir lieu « techniquement » en début du dernier trimestre.
CETTE DATE SERAIT OPPORTUNE, tant la situation devient compliquée, voire périlleuse en Nouvelle Calédonie. Un gouvernement claudiquant, un Congrès déchiré par les luttes intestines, une économie qui bat dangereusement de l’aile, deux usines sur trois au bord du gouffre, un Covid qui rode, et une population inquiète, clivée, et de plus en plus tendue.
Le référendum aurait pour mérite de clarifier les choses. Soit la Nouvelle-Calédonie tombe dans le gouffre de la pré-indépendance, soit elle tourne la page et l’objectif devient son redressement et sa reconstruction.
Attendre un an de plus ne ferait qu’aggraver les difficultés énoncées. En opportunité, 2021 serait la meilleure date pour commencer à en sortir. Aux dires du ministre, l’organisation des votes sur le terrain, la venue des magistrats et des observateurs de l’ONU, ne poseraient pas de problème. Quant à l’information sur les conséquences du « oui », il n’y a probablement pas besoin de grands pédagogues pour que les électeurs les comprennent en quelques semaines, puis lors de la campagne électorale …
MAIS LES DIFFICULTÉS POUR LA DÉCIDER SONT À SURMONTER, et relèvent essentiellement du domaine politique. Politique interne, d’abord. Au sein du gouvernement de la République, il y a les partisans de 2021 et ceux de 2022. Les seconds, en particulier, craignent les conséquences éventuellement négatives du scrutin, et surtout de son résultat, alors que la campagne présidentielle, déjà lancée, bat son plein. Pour ceux qui sont en faveur de 2021, les risques d’immixtion de la question calédonienne dans cette campagne sont tout autant réels si la date est tardive, car pour la première fois, le sujet pourrait s’inviter de manière partisane pour la première fois depuis 33 ans.
C’est qu’en effet, la victoire de Marine Le Pen est un scénario de moins en moins écarté tant les dérives et l’affaiblissement dénoncés par le « tribune des Généraux » sont confirmés chaque semaine dans la tragique actualité métropolitaine. Le meurtre d’un policier, à Avignon, a certainement apporté quelques points supplémentaires à la côte de la présidente du Rassemblement National.
LES CALCULS DES INDÉPENDANTISTES SONT CONTRADICTOIRES, même si officiellement, la ligne et unitaire. Et cela est d’autant plus fort qu’en matière d’unité des indépendantistes, c’est peut être tout ce qui reste ! L’Union Calédonienne estime qu’il faut un peu de temps pour réparer les errements et les erreurs récentes ou actuelles, et qui ont probablement refroidi les indécis qui avaient voté « oui ». Violences pour l’usine de Sud, renoncement à l’exclusion de Trafigura, et échec de la solution Sofinor/Korea Zinc, renoncement dans le Sud à la « doctrine nickel », mauvais calcul dans la chute précipitée du gouvernement Santa, querelles sur la désignation du président indépendantiste du nouveau gouvernement, rapports accablants de la Chambre des Comptes sur l’économie indépendantiste et la « doctrine nickel », risques de condamnation à l’issue des procédures enclenchées dans le cadre des récentes violences dans le Sud, tout celà, en effet, est loin de servir la cause du « oui ». Et c’est peu de le dire.
Le Palika/Uni, de son côté, ne néglige pas le « risque » d’une élection de Marine Le Pen à la tête de l’Etat. Certains responsables avaient estimé que « les choses seraient plus difficiles avec elle ». Motif à organiser rapidement le troisième référendum.
LA DÉCISION RELÈVE DE L’ETAT, car c’est lui qui convoque les électeurs et qui organise le scrutin. Certes, l’avis, notamment du Congrès, est requis. Mais il ne s’agit que d’un avis. Reste celui des partis politiques. Les indépendantistes ne paraissent pas sur une totale même ligne. Ils ont déclaré ne pas se rendre à l’invitation du Premier ministre en fin mai, prétextant qu’il leur faut d’abord un expert venant en Calédonie pour bien comprendre les conséquences du « oui ». Mais il ne serait pas impossible qu’une délégation, davantage observatrice que décisionnelle, fasse tout de même le voyage …
Après les dérobades, les blocages, les incapacités à se décider, les indépendantistes voudraient sans doute encore gagner du temps. Ou en faire perdre à toute la population.
Ce que beaucoup oublient, c’est que l’échéance majeure qui attend les Calédoniens, ce n’est ni l’élection du président du gouvernement, ni celle du président du Congrès. Ce sont des péripéties importantes, mais surtout dans le sens où elles pourraient peser sur le rendez-vous historique que constituera, pour la population de l’archipel, le troisième scrutin d’autodétermination. Dans cette perspective, peut-on aujourd’hui apprécier un recul ou une avancée de l’idée d’indépendance ?
LES ÉVÉNEMENTS RÉCENTS ONT PORTÉ PRÉJUDICE AUX INDÉPENDANTISTES L’électorat qui se prononce au référendum est constitué de deux grands groupes : les purs et durs qui ne se posent pas de question, et les indécis qui peuvent se décider au dernier moment, en fonction de considération subjectives.
Incontestablement, deux événements ont pesé sur ces indécis qui avaient voté « oui » au second référendum.
Le Covid, d’abord. Aides aux collectivités, aides aux entreprises, aides aux artisans, par ces interventions, l’Etat a mis en relief les avantages immenses pour les Calédoniens à être dans la République, et à bénéficier de sa solidarité. La fourniture des vaccins -les meilleurs, Pfizer-, gratuitement, sans démarche commerciale, a enfoncé le clou. Il n’est qu’à voir le cauchemar dans lequel s’enfonce la Papouasie pour évaluer un aspect des risques liés à l’indépendance, pour un petit pays ou un pays faiblement développé, au 21e siècle.
Les blocages et les violences générées par les actions indépendantistes pour tenter d’imposer Sofinor et Korea Zinc comme repreneurs de l’usine du Sud, ensuite. Chacun a pu mesurer la « vraie vie », face à l’idéologie. Ainsi, par exemple, les employés affiliés au syndicat indépendantiste USTKE se sont retrouvés face au risque de perte de leur emploi et donc de leur moyen de subsistance. Il en a été de même pour tous ceux, salariés de Vale ou sous-traitants du Sud, dont les revenus relevaient de la survie économique de l’usine. La loi de l’économie est dure, mais c’est la loi. Ainsi, certaines mesures d’opinion évaluent de recul indépendantiste à 3 électeurs sur 10.
LA STRATÉGIE DE L’UNION CALÉDONIENNE POUR « REMONTER LE COURANT » Cette mauvaise séquence, le président de l’Union Calédonienne en est conscient. Evoquant la progression du vote indépendantiste aux deux derniers référendums au micro d’Elisabeth Nouar à RRB, il s’est exclamé : « tout est à refaire« .
Pour refaire ce retard estimé, l’UC a donc choisi Samuel Hnepeune afin d’appréhender le développement économique sous un jour plus réaliste, et pour séduire à nouveau les indécis.
Il paraît acquis que le prochain président du gouvernement indépendantiste sera désigné avant le déplacement à Paris répondant à l’invitation du Premier ministre. Et les bookmakers attribuent la meilleure côte à Louis Mapou. Plus politique. A moins que …
LA DATE DU RÉFÉRENDUM SERA IMPORTANTE Ces considérations amènent à la conclusion que si le référendum avait lieu cette année, les effets négatifs décrits pourraient contrecarrer une nouvelle progression du « Oui ». Si en revanche, la consultation avait lieu en 2022, chaque camp devra s’appliquer à développer une campagne la plus efficace possible.
Dans l’intervalle, il faudra bien que le nouveau gouvernement indépendantiste fasse la preuve qu’il est capable de gérer à la satisfaction du plus grand nombre. Ses écueils sont considérables, pour ne pas dire immenses. Il devra en outre, autant que possible, éviter trop de recours à l’Etat, et donc à la France. Sinon, comment justifier la revendication d’indépendance ?
Dans tous les cas, les résultats de la consultation seront connus au soir du scrutin. Et pas avant. Cette incertitude conduit à une certitude : la campagne électorale a commencé.
Si l’organisation du troisième référendum a été demandée, en revanche, aucune date n’a pour l’heure été arrêtée. Les indépendantistes ont, semble-t-il, des avis divergents sur le sujet. Côté loyaliste, la position est plus claire selon qu’une solution consensuelle serait possible ou pas. Mais la décision reviendra au gouvernement central avec, dès la fin de cette année, l’ouverture officielle de la campagne électorale présidentielle. Pour l’Etat, en tout cas, le dispositif est rodé et il peut être mis en place selon la date arrêtée sans problème majeur. Le reste est une question à la fois d’opportunité politique et de mesure de risque.
Les indépendantistes ont déclenché la demande de scrutin. Il n’est plus un secret pour personne que, sur cette question aussi, le Palika et l’UC ont des approches différentes. Le premier considère que l’hypothèse d’une élection de Marine Le Pen à la présidence de la République ne peut être écarté, et que ce bouleversement compliquerait le processus d’accession à l’indépendance. L’Union Calédonienne, de son côté, considère que la situation Covid et les violences liées à la reprise de l’usine du Sud ont provoqué un recul électoral indépendantiste notamment parmi les « tièdes » et les indécis. Le parti considère que donner du temps au nouveau gouvernement indépendantiste permettrait de développer une stratégie de reconquête électorale.
Du côté des loyalistes, les choses semblent plus nettes. Soit les indépendantistes acceptent de négocier une solution dite « consensuelle », c’est à dire un nouveau statut répondant au souhait du plus grand nombre au sein de la République, et le référendum pourrait alors se dérouler le plus tard possible pour permettre la mise au point de cet accord. Soit aucune négociation n’est possible, et le scrutin doit se dérouler le plus tôt possible, c’est à dire en septembre-octobre, avant la campagne présidentielle.
Pour l’Etat, la décision est plus complexe. La période actuelle est déjà une pré-campagne dans laquelle l’enjeu sanitaire va se révéler décisif. Des candidats se sont déclarés, à l’instar de Marine Le Pen et de Xavier Bertrand. Politiquement, la crainte est celle d’un dérapage, quel que soit le résultat de la consultation, un dérapage dont il faudrait assumer les conséquences en pleine campagne présidentielle. Le ministre des Outre mer a lancé un appel pour la recherche d’une solution consensuelle. Quant au Premier ministre, personne n’a oublié son évocation d’une solution à l’intérieur de la République.
Le Congrès sera évidemment consulté sur cette date. Mais il sera lui-même divisé, à l’image de la Nouvelle-Calédonie. Avec tout de même une nuance : sa majorité indépendantiste/Eveil Océanien ne reflète pas la réalité démocratique du territoire.
Le 8 octobre dernier, le FLNKS, par la voix de Victor Tutugoro, déclarait que le « FLNKS ira au troisième référendum », estimant que le « oui avait le vent en poupe », en dépit de la victoire du « non » constatée à la deuxième consultation d’autodétermination. Depuis le 4 avril, les indépendantistes ont la possibilité de demander à l’Etat l’organisation de ce troisième référendum dans le délai prévu par la loi organique, c’est à dire dans les 18 mois qui suivront la demande. La date du scrutin serait alors fixée par l’Etat.
LES COMPOSANTES DU FLNKS EN ACCORD OU EN DÉSACCORD SUR LA DATE ? Les deux précédentes demandent formulées auprès de l’Etat l’avaient été par l’ensemble du FLNKS. Mais depuis, le blocage de l’usine du Sud, l’accord conclu sur le repreneur et l’élection ratée du président du premier gouvernement à majorité indépendantistes sont passés par là …
Sur la date du prochain référendum comme sur la suite en cas de victoire du « oui », Uni-Palika et UC ne sont pas sur la même longueur d’onde. En cas de victoire du « oui », Paul Néaoutyne a marqué sa préférence pour une indépendance « en partenariat avec la France ». Le président de l’UC, pour sa part, s’est montré plus radical. Ses critiques envers « l’Etat colonial » et ses représentants en Nouvelle-Calédonie ont toujours été plus violentes. Il a également affirmé sa volonté d’aboutir à une souveraineté totale et entière, sans préalable sur les relations futures éventuelles avec la France.
Mais c’est surtout sur la date du référendum que les analyses diffèrent. En question : les dégâts électoraux dans les rangs des électeurs potentiels du « oui » suite aux derniers événements et péripéties survenus.
LES TROUBLES AUTOUR DE LA REPRISE DE L’USINE DU SUD ONT FAIT RECULER DES PARTISANS DU « OUI » Incontestablement, le blocage de l’usine du sud, les violences perpétrées, et surtout, les dégâts et les menaces sur l’emploi et les activités économiques ont coûté des voix au FLNKS. Et accessoirement, à l’Eveil Océanien.
Selon certaines analyses, l’impact négatif sur les intentions de vote « oui » au prochain référendum serait de l’ordre de 30%. Il concernerait des électeurs qui changeraient d’avis ou qui déclarent qu’ils pourraient changer d’avis. Ils ne seraient plus que 65% à demeurer fermes dans leur vote pour l’indépendance.
Ces mouvements d’opinion toucheraient l’ensembles des votants potentiels, mais surtout les Calédoniens d’origine wallisienne et futunienne ainsi que les électeurs Kanak.
Au total, ces événements récents pourraient modifier le vote de 3 électeurs sur 10 qui s’étaient déclarés favorables à la souveraineté pleine et entière.
La chute du gouvernement et l’incapacité des indépendantistes désormais majoritaires à désigner un président ne font qu’ajouter à ce trouble électoral. Dans la population de plus de 16 ans, la moitié aurait une opinion négative sur cette chute. Ils ne seraient que 3 sur 10 à estimer que cette « censure » a été une bonne chose.
REMONTER LA PENTE POUR CERTAINS INDÉPENDANTISTES ? « A ce rythme là, on fera 40% » s’était exclamé un responsable indépendantiste devant le risque de perte de 3000 emplois provoqué par les blocages de l’usine du Sud. Dans les rangs indépendantistes, nombreux sont ceux qui estiment que pour éviter un cuisant échec au troisième référendum, il « faut donner du temps au temps », et des gages aux électeurs échaudés par les blocages et les atermoiements au gouvernement nouvellement élu.
Pour les autres, il faut que la consultation ait lieu le plus tôt possible car ils estiment crédible une élection de Marine Le Pen à la présidence de la République en mai prochain. Ils défendent donc une date le plus tôt possible, et dès 2021.
EXCLURE LA DATE DANS LA DEMANDE Pour retrouver une unité, au moins pour la demande de troisième référendum, la solution, pour les composantes du FLNKS, serait de ne mentionner aucune date. La suite serait traitée lors de la consultation du Congrès par l’Etat, et peut être du nouveau gouvernement alors peut être en place.
Dans tous les cas, la décision serait alors entre les mains de l’Etat. C’est lui qui fixe par décret la date et les conditions d’organisation du scrutin. A moins qu’entretemps, un Comité des Signataires soit organisé à Paris et que tous les partis acceptent d’y participer. Car il est vrai qu’il existe encore, ce fameux Comité des Signataires …