5 mai 1998. L’Histoire retiendra la photo montrant les signataires rayonnants. Après la conclusion des Accords de Matignon, triplement historiques pour avoir rétabli la paix en Nouvelle-Calédonie d’une part, au prix d’une novation juridique créant, pour la première fois dans la 5e République, un « territoire fédéral » d’autre part, et instaurant un équilibre politique entre une majorité et une minorité dont les objectifs politiques sont diamétralement opposés, enfin, la Nouvelle-Calédonie, en ce 5 mai 1998, accède à un nouveau statut, présenté comme une avancée s’inscrivant dans l’esprit des accords précédents. Ce sera l’Accord de Nouméa. A l’heure d’un bilan politique, économique et social, a-t-il produit cette avancée, ou bien provoqué une modification profonde des équilibres créés en 1988 dont les effets seront funestes à bien des égards, pour ne pas dire à tous égards ? Entre laudateurs et iconoclastes, qui a raison ? Réflexions.
UN CONSENSUS, MAIS PAS DE … SOLUTION
L’Accord de Nouméa fut-il une « solution consensuelle » ? La réponse, 25 ans plus tard, est négative. L’accord a été adopté consensuellement, par les trois parties historiques de 1988, l’État, le FLNKS et le RPCR. Mais il s’agit d’un accord de procratination, de report d’un référendum au profit … de trois consultations, instaurant des modifications profondes, institutionnellement en contradiction avec ce qui fut construit 10 ans auparavant. Car 25 ans plus tard, la Nouvelle-Calédonie s’interroge. Elle est fracturée. Et cherche … une solution.
25 ANS SUPPLÉMENTAIRES DE PAIX, DEUX USINES EN PLUS, MAIS …Si les Accords de Matignon ont rétabli la paix en Nouvelle-Calédonie, il est incontestable que celui de Nouméa l’a prolongée. Certes, le chemin parcouru est émaillé de quelques éruptions de violence. La dernière en date remonte à tout juste deux ans, lors de la reprise de l’usine du Sud, abandonnée par Vale. Mais au total, à défaut de vivre en harmonie, les habitants du territoire ont vécu dans un climat plutôt paisible.
Dans ce long intervalle, deux usines ont vu le jour. Elles ont représenté deux des plus gros investissements industriels que la République ait connus, au prix de dépassements colossaux des montants initialement prévus. Aujourd’hui, ces unités industrielles, auxquelles s’ajoute la SLN, génèrent des milliers d’emplois directs, indirects et induits. Par ailleurs, l’idée qu’elles ne produisent pas de recettes fiscales pour la Calédonie est fausse. Elles ne contribuent pas à l’impôt sur les sociétés -à l’exception d’un pactole versé par la SLN et Eramet au milieu des années 2000-, mais paient divers et importants impôts par ailleurs, tout en versant aux provinces, au travers d’Eramet et grâce à la STCPI, des dividendes qui ne jamais négligeables. Mais, car il y a un « mais », la situation financière de deux d’entre elles, au moins, suscite des inquiétudes jusqu’à interroger sur leur pérennité. Un bilan final aux accents de catastrophe possible.
Quant aux référendums d’autodétermination, « Matignon » en prévoyait un, « Nouméa » a porté ce nombre à trois. Avec le succès que l’on sait.
UN CORPS ÉLECTORAL EN « INFRACTION » AVEC LA LIBERTÉ DE SUFFRAGE
Le corps électoral est le fruit de l’Accord de Nouméa. Certes, il est possible de finasser en rappelant qu’en 1998, le vote référendaire des Calédoniens s’était effectué en faveur d’un corps « glissant », conférant le droit de vote à tout citoyen français dont on pouvait considérer qu’au bout de 10 ans, il avait décidé de s’enraciner dans le territoire. C’est exact, comme il est exact qu’en 2007, le « gel » a été admis, pour des raisons mystérieuses, par Jacques Chirac alors président de la République, qui l’a fait adopter lors d’une modification constitutionnelle approuvée par l’UMP et les autres composantes du Parlement réunies en congrès à Versailles. Mais s’il n’y avait pas eu d’Accord de Nouméa ?
S’il n’y avait pas eu de nouvel accord en 1998, le statut issu des Accords de Matignon prévoyait tout simplement qu’un référendum, un seul, devait être organisé cette année-là pour que les électeurs choisissent entre l’accès à la pleine souveraineté ou l’ancrage dans la République. Avec le corps électoral prévu alors, et, accessoirement des assemblées de provinces élues également avec le corps électoral déterminé en 1988.
Pour mémoire, il faut ajouter qu’en 1998, 30% des électeurs kanak étaient ouvertement hostiles à l’indépendance.
L’INSTAURATION D’UN GOUVERNEMENT ET LE TRANSFERT DES COMPÉTENCES À LA CALÉDONIE ROMPENT LES ÉQUILIBRES DES ACCORDS DE MATIGNON
Sous couvert « d’avancées », le statut issu de l’Accord de Nouméa s’éloigne en profondeur de ce que les Accord de Matignon avaient édifié.
Ces derniers avaient créé un système institutionnel en érigeant la Nouvelle-Calédonie en « territoire fédéral » reposant sur 3 provinces. Dans chacune d’entre elles, une majorité stable permettait un fonctionnement harmonieux entre elles, sans piétinement des compétences respectives. Un Conseil exécutif a permis, pendant 10 ans, une coordination de leurs actions, générant un climat de reconstruction du territoire manifesté par de nombreuses actions communes -RPCR/FLNKS- au Congrès. Le développement du tourisme pendant ces dix années en est une illustration. Fonds d’investissement créé consensuellement au Congrès, mise en place d’un organisme interprovincial, le Gie Destination Nouvelle-Calédonie chargé de la promotion du tourisme international et la coordination du tourisme interne dans les trois provinces, construction en cohérence interprovinciale d’hôtels comme le Méridien Nouméa, le Méridien Ile des Pins, le Koulnoué, l’hôtel Malabou ou le Drehu Village. Et tout cela a fonctionné, avec notamment des records de fréquentation de la meilleure clientèle qui soit, la clientèle japonaise. 35.000 en 1997.
L’instauration d’un gouvernement, les pouvoirs conférés aux Congrès par le transfert des compétences à la Nouvelle-Calédonie, ont bouleversé ces équilibres. Ces changements ont eu des conséquences financières désastreuses par la multiplication des administrations et des établissements publics. Ils sont surtout devenus un enjeu de pouvoir, de discordes, puis de conflits, dont les résultats produisent des effets tout aussi désastreux.
Au mieux, d’ailleurs, ces évolutions ont été profitables aux séparatistes qui ont renforcé leurs positions, au pire, elles ont provoqué l’éclatement du camp autonomiste, et des luttes de pouvoir entre ses partisans.
UN BILAN GLOBALEMENT DÉSASTREUX
Bien entendu, pendant les 25 ans qui nous séparent de la signature de l’Accord de Nouméa, des transformations positives peuvent être classées dans la case « crédit ». Mais à l’heure du bilan, c’est-à-dire aujourd’hui, que peut-on constater globalement ?
La réflexion majeure concerne nos réelles capacités à gérer notre extraordinaire autonomie au sein de la République. La réponse est inscrite dans le bilan.
Les Calédoniens vivent aujourd’hui dans un territoire dont les finances publiques comme les régimes sociaux sont en faillite, un territoire suradministré et dont les charges de fonctionnement sont déraisonnables, un territoire qui n’a pas su répondre aux attentes de ses acteurs économiques avides de lisibilité de l’avenir, un territoire doté d’un statut de quasi indépendance associée sans être passé par la case indépendance, mais dont la réponse à ses multiples interrogations repose sur le bon vouloir de Paris.
Sur la Place de la Paix, celle qui marquera l’Histoire contemporaine, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou échangent la désormais mythique « poignée de main » pour l’éternité. C’était bien lors des Accords de Matignon. Il n’y aura pas de statue pour l’Accord de Nouméa …