Le Haut Commissaire, au micro de Thérèse Waia, a indiqué dimanche soir, après qu’il ait confirmé qu’aucune aide l’État n’était inscrite dans le projet de budget 2023 : « (…) par contre, ce qui est est prévu, on est en 2023 et c’était en 2020, c’est que des décisions importantes soient prises dans le domaine fiscal. Et pour cela, le gouvernement de la Nouvelle Calédonie, mais surtout le Congrès, va devoir faire des choix, prendre ses responsabilités. La Chambre Territoriale des Comptes considérait que l’équilibre pouvait être retrouvé à l’horizon 2025 si des mesures prises, sur le plan fiscal, permettaient de dégager 30 milliards de francs Pacifique par an ». Conclusion d’une expertise ou position de l’État ?
QUATRE QUESTIONS ESSENTIELLES
Quatre questions méritent d’être approfondies.
La première est : qui, majoritairement, paie des impôts en Nouvelle Calédonie ?
La seconde est : la situation du contribuable calédonien est-elle beaucoup plus favorable que celle du contribuable métropolitain ?
La troisième est : hors les aides apportées à la SLN, dont l’État est actionnaire via Eramet, quels sont les « cadeaux » faits aux Calédoniens.
La quatrième : est-il tout simplement sensé d’exiger de ces contribuables locaux un prélèvement supplémentaire de 30 milliards par an jusqu’en 2025 ?
QUI PAIE DES IMPÔTS EN NOUVELLE-CALÉDONIE ?
Qui paie des impôts, et que doit payer un ménage calédonien par rapport à un ménage métropolitain, voila un sujet que les élus seraient bien inspirés d’étudier. Il existe localement 120.043 foyers fiscaux, mais seuls … 50.036 foyers paient des impôts. Et qui sont-ils, ces contribuables à l’IRPP qui alimentent les caisses du territoire, des provinces et des communes, en complément des recettes fiscales provenant de l’économie ? Majoritairement des contribuables calédoniens et des entreprises essentiellement établies en province Sud.
L’IDÉE FAUSSE D’UNE SITUATION TRÈS FAVORABLE DU CONTRIBUABLE CALÉDONIEN PAR RAPPORT AU CONTRIBUABLE MÉTROPOLITAINS
Quant à la pression fiscale, facile de comparer, sans entrer dans le fond, les taux des tranches métropolitaine et calédonienne. Cette comparaison est généralement raccourcie, et conclue à la hâte que décidément, les Calédoniens paient moins d’impôts que les contribuables de métropole ou des départements d’Outre-mer. Ce jugement est faussé par le seul fait que l’on range dans la classe moyenne des ménages qui perçoivent des revenus relativement bas. C’est ainsi que contrairement à la métropole, les revenus supérieurs à 4,5 millions CFP sont taxés comme des hauts revenus à 40% ! Dans notre système, un couple d’instituteurs est un couple de riches ! Dans le système métropolitain, les tranches sont plus progressives et plus nombreuses.
Quant au reste, on oublie par exemple qu’en métropole, les seuils des tranches sont indexés, ce qui permet de maintenir une certaine justice face à une perte de pouvoir d’achat résultant de l’inflation. Une disposition inconnue en Nouvelle Calédonie. Autre différence de taille : l’éloignement de la métropole et les conséquences financières pour les ménages locaux. La Nouvelle Calédonie étant une ile, il faut, pour en sortir, utiliser le moyen coûteux des déplacements aériens.
Pour un Lyonnais, pour un Marseillais, il suffit de prendre le train ou la voiture pour étudier en cycle supérieur ou pour rendre visite à de la famille ou des amis. Ici, il faut prendre l’avion, avec des tarifs qui frisent le demi-million CFP en haute saison. Il faut évidemment rajouter à cela les facilités et les avantages dont bénéficient les contribuables métropolitains, pour la crèche de leurs enfants, pour les conditions de bonifications offertes dans les entreprises, aussi bien pour l’intéressement que l’accès aux restaurants. Cette liste n’est pas exhaustive. Mais il serait juste d’inscrire la situation d’un foyer fiscal dans chaque contexte : métropolitain et calédonien. On disait autrefois que les Calédoniens bénéficiaient du « 5,5 ». Ce temps est révolu. D’ailleurs de nombreux métropolitains ont quitté le territoire depuis 10 ans. Et pas que dans la crainte du référendum.
L’IDÉE FAUSSE DES CADEAUX FAIT AUX CALÉDONIENS
Bien sûr, il y a les aides de l’État pour les investissements métallurgiques à travers la défiscalisation, et celles destinées à la SLN. La Calédonie est-elle la seule collectivité de la République à bénéficier du régime de défiscalisation ? Un cadeau ? Stupide. Tout l’Outre-mer bénéficie de ce régime. Et en métropole, des dispositifs de défiscalisation existent également. Quant à la SLN, s’agit-il d’un prêt, donc remboursable, ou d’une subvention ? La première intervention de 63 milliards FCFP était un prêt. Quid de l’actuelle intervention ?
Pour le reste, on évoque souvent les 170 milliards que dépense l’État en Nouvelle Calédonie. S’agit-il de cadeaux sous forme de subventions ? Sûrement pas. L’État assure ici les dépenses régaliennes comme dans tous les territoires, régions, départements de la République. L’armée, la défense, les forces de sécurité, monnaie ou encore la Justice sont des charges normales de l’État. En aucun cas, ces dépenses sont un « cadeau » à la Nouvelle Calédonie.
Les contrats de développement sont-ils un « cadeau » de l’État ? Non. C’est une pratique de soutien pour l’ensemble des grandes collectivités de la République. Les régions françaises bénéficient de contrats de plan État-Région, les fameux CPER, ainsi que les contrats de plan interrégionaux État-régions. Alors, pourquoi pas nous ?
UN PRÉLÈVEMENT FISCAL DE 30 MILLIARDS CFP PAR AN JUSQU’EN 2025 EST-IL SENSÉ ?
Indubitablement, la Nouvelle Calédonie pourrait mieux gérer sa fiscalité, ses dépenses et son développement. Les responsables locaux n’ont guère réalisé de performances depuis l’Accord de Nouméa, c’est le moins qu’on puisse dire. Il n’est qu’à constater le résultat après 25 de gouvernances diverses calédoniennes : les régimes sociaux en faillite, des établissements publics dépensiers, un système de santé vacillant malgré des infrastructures exceptionnelles, une absence de stratégie de développement économique, une absence de stratégie aérienne, une absence de stratégie nickel, bref, un bilan qui doit faire sourire dans les bureaux parisiens. On peut dire aussi que les finances publiques sont bien mal en point, mais sur ce sujet, il serait injuste d’oublier la gestion de la crise Covid et ses contraintes. L’État, avec la politique du « quoi qu’il en coûte », n’a guère de leçons à nous adresser.
Mais ceci étant reconnu, la potion, si elle était exigée par l’État en la forme, mériterait quelques réflexions. Est-ce la guérison, ou une aggravation de la maladie qui est recherchée ? L’augmentation des prélèvements est nécessaire pour redresser les comptes. Mais asséner brutalement une exigence de « 30 milliards par an » dans la situation actuelle de la Nouvelle Calédonie, ce serait effrayer ceux qui paient déjà l’impôt « pour les autres », décourager la volonté d’entreprendre, et politiquement, punir ceux qui ont choisi de demeurer dans la République. Si Gérald Darmanin n’avait pas été aussi clair sur l’avenir du territoire, on pourrait alors sérieusement se poser des questions …