RUAMM : ACCORD = MARCHÉ DE DUPES OU PAS ? DÉCRYPTAGE

A l’issue d’un mobilisation d’une partie des forces vives de l’économie calédonienne hostiles au projet de financement du Ruamm mis au point par l’Éveil Océanien, un accord a été trouvé entre les parties et signé hier matin tôt au Congrès. Les barrages ont été levés, et les manifestants ont repris leur travail. Le collectif Agissons Solidaires est pour l’heure satisfait. Le vote des textes est reporté à la fin de l’année, et le sujet global de la santé et de la protection sociale, incluant le Ruamm, sera débattu au sein d’une commission regroupant l’ensemble des acteurs politiques et civils.

Dans le monde du travail, c’est le soulagement, mais des voix discordantes se font jour. Côté politique, le groupe Loyalistes et Avenir en Confiance « constate la faillite totale du gouvernement Mapou« , et restera « vigilant sur la composition de cette instance et sur la teneur des travaux« . Il observe un « recul » de l’Éveil Océanien. Pour Calédonie Ensemble qui s’exprime également dans un communiqué, c’est à la fois la contestation de la forme de l’accord mettant en place une commission et une présidence « auto-proclamées« , montage estimé « nul et non avenu« . Pour le fonctionnement institutionnel, « nous constatons avec tristesse que la république bananière est devenue une réalité dans notre pays« .

QUE DIT L’ACCORD ?
Il s’agit d’un accord conclu entre les représentants de Agissons Solidaires, le président du Congrès et l’Éveil Océanien. Sur quoi les parties se sont-elles entendues ?
– D’abord, le report du vote des textes sur le financement du Ruamm au 31 décembre au plus tard,
– Ensuite, la création d’une « commission spéciale » chargée « de la réforme globale de la santé et de la protections sociale en Nouvelle Calédonie » et composée de toutes les parties intéressées,
– Enfin, l’attribution de la présidence de cette commission à Milakulo Tukumuli.
S’agit-il d’un marché de dupes ?

LES TEXTES DE L’ÉVEIL OCÉANIEN NE SERONT PAS VOTÉS
Première conséquence de cet « engagement » : les projets de lois réformant le financement du Ruamm, et notamment par l’augmentation des cotisations et la suppression des régimes aidés, ne seront pas votés cette année. Il devrait en être de même pour celui prévu pour le remboursement de la dette Ruamm.
Or les travaux en commissions internes du Congrès avaient déjà débuté et un vote favorable avait eu lieu. Il semble bien que des recettes aient été inscrites au projet de budget. Enfin, la réunion d’une session extraordinaire pour le vote des textes en question était prévue. Or, le 28 février dernier, les groupes indépendantistes avaient indiqué qu’ils allaient voter les propositions de l’Éveil Océanien, en appelant les Calédoniens à faire preuve de discernement … Tout ce processus est remis en cause.
De ce point de vue, Agissons Solidaires a fait reculer l’Éveil Océanien et la majorité au Congrès.

TOUS LES ACTEURS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES SERONT ASSOCIÉS À LA DISCUSSION GLOBALE SUR LA SANTÉ ET LA PROTECTION SOCIALE
L’instauration de la « commission spéciale » dédiée prévoit que tous les groupes politiques, les présidentes et commissions et les membres du gouvernement concernés, l’inter-patronale, l’intersyndicale et les Chambres consulaires seront représentés dans cette commission.
On n’est plus dans les auditions acceptées par le commissions internes du Congrès. Tous les acteurs « civils » participeront directement aux travaux prévus.
De ce point de vue, il s’agit d’un processus sans précédent. La concertation réclamée par Agissons Solidaires sera donc mise en place.

LA FORME JURIDIQUE DE CRÉATION DE LA « COMMISSION SPÉCIALE » DÉNONCÉE PAR CALÉDONIE ENSEMBLE
Calédonie Ensemble conteste la légitimité des négociateurs de l’Accord pour conclure une procédure interne du Congrès : la création d’une commission spéciale, sa composition, et sa présidence.
En droit, le parti de Philippe Gomes est fondé à formuler ces critiques. Toute commission nouvelle, et en l’espèce, une « commission spéciale » doit être instaurée par les membres du Congrès. Dans une délibération, les élus doivent l’intituler, en définir la composition et l’objet. Enfin, à la première réunion de cette commission, ses membres élisent un bureau dirigé par un président. En préemptant cette compétence incontournable, l’accord n’est pas orthodoxe.
Simplement, en l’espèce, les signataires du protocole reflètent la majorité du Congrès. Si le vote de ses élus est conforme, la commission sera créée.
En revanche, si la majorité du Congrès possède la majorité au sein de cette commission, ce sera un marché de dupes. Dans les faits, on voit mal comment une telle composition serait crédible et acceptée par Agissons Solidaires. Il faudra donc, dans l’hypothèse d’une réelle composition « ouverte », qu’une majorité interne accepte la présidence de Tukumuli. C’est l’engagement moral des représentants de Agissons Solidaires.
De ce point de vue, un accord entre les parties est donc possible. On peut dire qu’il est scellé entre la majorité du Congrès et Agissons Solidaires.

LA RÉPUBLIQUE « BANANIÈRE »
Calédonie Ensemble se risque à qualifier le fonctionnement institutionnel de la Nouvelle Calédonie de celui d’une « République Bananière ». Les Loyalistes, quant eux, estiment qu’il s’agit de la démonstration d’une « faillite totale » du gouvernement Mapou.
Jugé de manière excessive par Calédonie Ensemble, de façon plus modérée de la part des Loyalistes, le fonctionnement des institutions locales est effectivement une sorte de faillite.
Qu’un « gouvernement » estime que la protection sociale et la santé, socle de solidarités et de la cohésion sociale d’une société ne sont pas de son ressort est proprement ahurissant. Qu’il laisse gérer cette question essentielle dans le gouvernement d’un pays par un groupe politique de l’Assemblée législative relève, soit de la carence, soit de la démission.
Ces errements, finalement, au moment où débutent officiellement les réflexions sur les institutions calédoniennes de demain, montrent assez clairement l’inutilité d’un gouvernement et du Congrès dans leur conception actuelle. Tandis qu’au milieu de ces tumultes, les provinces et les communes fonctionnent plutôt sereinement.