Avec la disparition de Jean Lèques à l’âge de 90 ans, la Nouvelle Calédonie perd l’un de ses plus illustres enfants. Les Calédoniens, d’ailleurs, marquaient d’une manière familière la relation qu’ils entretenaient avec l’homme politique, le maire de Nouméa, le catholique fervent honoré par la plus insigne décoration délivrée par le souverain Pontife, l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand, l’acteur de nombreuses initiatives à caractère social. Ils connaissaient Maître Lèques, ou le président Lèques, mais bien davantage encore, « Fifils », une familiarité populaire célébrée en son temps par François Ollivaud qui lui avait consacré l’une de ses chansons à succès. Ce mélange d’affection et de respect faisait de Jean Lèques un personnage public hors norme, connu au-delà des frontières du Caillou, notamment parce que qu’il réconciliait le politique avec le citoyen. A dire vrai, c’est probablement le dernier monument de la vie publique calédonienne de l’après-guerre qui s’en est allé.
Au fil du temps, beaucoup ont oublié que son parcours politique a commencé au sein de l’Union Calédonienne. En 1967, séduit par les idéaux affichés par l’UC, Jean Lèques fait partie des jeunes loups du parti aux côtés de Jean Pierre Aifa. Sortant du traumatisme de la condamnation, quelques années auparavant, de Maurice Lenormand, l’un des fondateurs du parti, l’Union Calédonienne est alors à l’image de sa devise « deux couleurs, un seul peuple », illustrée également par la présence parmi ses élus de Kanak comme Yann Celene Uregei, Eugène Ayawa, Gabriel Païta, et de non Kanak comme Armand Ohlen ou Max Frouin.
En 1971, cependant, il quitte l’UC avec plusieurs de ses amis, marquant son hostilité à l’avancée des idées autonomistes, considérées comme prélude à l’indépendance. Jean Lèques, issu d’une famille de patriote, est lui aussi, Calédonien viscéralement attaché à la République.
En 1977, avec son mouvement, le Mouvement Libéral Calédonien, il rejoint le rassemblement initié par Jacques Lafleur, pour la Calédonie dans la France.
C’est en sa qualité de maire de Nouméa qu’il donnera la mesure de ses ambitions pour la capitale calédonienne où il avait précédemment développé un quartier social à Ducos, celui de Logicoop.
En 1985, à la suite du décès de Roger Laroque, alors maire de Nouméa, il assure l’intérim puis est élu en 1986. Il occupera la fonction jusqu’en 2014, un record.
Sous sa direction, la ville se transforme. La Place des Cocotiers, alors peu aménagée, est paysagée et architecturée pour prendre le visage qu’on lui connaît aujourd’hui. La promenade de l’Anse Vata devient une grande avenue en front de mer, la plus belle de la capitale. La promenade Pierre Vernier, rebaptisée Roger Laroque, devient un partage entre automobiles, promeneurs et cyclistes. Des aires de sport fleurissent dans tous les quartiers. Le rustique hippodrome de l’Anse Vata devient l’hippodrome moderne que connaissent aujourd’hui les passionnés de cheval et les turfistes.
Ancien président de l’association Logicoop, Jean Lèques a un faible pour la Rivière Salée, quartier édifié à l’initiative et sur les fonds du Fonds Social de l’Habitant. Le maire de Nouméa y construira davantage d’équipements municipaux que dans tous les autres quartiers : piscine, parc, maison de quartier, maison de musique avec le Mouv’, salle omnisport couverte, terrain de rugby, terrain de foot et médiathèque.
La Rivière Salée bénéficiera également d’une mairie décentralisée et d’un poste de police municipale.
La Police Municipale, justement, est créée par Jean Lèques, qui met en place les premières caméras de vidéosurveillance. Sous son impulsion, le corps des pompiers sera doté d’une caserne au centre-ville, d’une implantation décentralisée au Normandie, et connaîtra une croissance sans précédent.
L’assainissement de la ville verra la construction de ses stations de traitement des eaux usées sous son magistère. De même que la réalisation du Quartier asiatique et au « Faubourg », la reconstruction à l’identique de la Maison Célières.
Beaucoup de Nouméens ont oublié ce travail accompli au cours des « décennies Jean Lèques ». De fait, à quelques aménagements près, il a légué le Nouméa qui existe aujourd’hui. La ville n’est pas parfaite, mais globalement, Jean Lèques a transformé une cité aux allures de chef-lieu post colonial, en une capitale aux caractéristique moderne. C’est à coup sûr ce que retiendra essentiellement la postérité. Pour son action exemplaire, tout comme le fut son action publique, hommage doit lui être rendu.