
Le 26 avril 2021, le groupe Melchior qui publie « Les Nouvelles calédoniennes » avait été placé en procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce. Le 28 avril suivant, le quotidien titrait : « Pourquoi votre journal pourrait disparaître ». Explication : des pertes annuelles importantes en raison, notamment, de la baisse des recettes publicitaires.
Près d’un an après, il semble que le modèle économique qui avait présidé à la création du média n’ait pas réussi son redressement. NC1ère titrait à ce propos, le 17 mars dernier, que son format papier « est menacé ». L’article évoquait l’adoption d’un nouveau modèle économique par le groupe propriétaire, reposant sur une édition quotidienne entièrement numérique, avec la parution d’un hebdomadaire papier le week-end.
LA FRANCE AUSTRALE EN 1889
La presse quotidienne papier calédonienne perdrait ainsi son dernier exemplaire. Déjà, en 1979, après 90 années de parution, la France Australe, quotidien créé en 1889 par Alfred-Ernest Laborde et James-Louis Daly, et appartenant à la SLN, avait baissé pavillon. En grande partie, victime de la concurrence des Nouvelles calédoniennes.
D’autres tentatives avaient fait long feu. Avant la mutation des Nouvelles vers la couleur, l’un de ses fondateurs avait tenté l’expérience de la quadrichromie, une première, sous la direction d’un ancien journaliste des Nouvelles, Jean-Noël Féraud. L’aventure n’avait duré que quelques mois, tout comme le « journal bleu », surnom donné à une autre expérience avortée, celle du Journal de Nouvelle Calédonie dont le titre figurait sur fond bleu.
LES NOUVELLES EN 1971
C’est le 15 juin 1971, en plein « boom », que paraît le premier numéro des Nouvelles calédoniennes, un quotidien concurrent de la France Australe fondé par Roger Brissaud, Jean-Paul Leyraud et Edouard Ventrillon.
Jean-Paul Leyraud est une figure calédonienne, liée à la famille d’Edouard Pentecost, et, notamment, propriétaire d’une librairie. Edouard Ventrillon fait partie d’une famille également connue. En 1948, trois hommes d’affaires calédoniens, messieurs Ventrillon, Pentecost et Minot, font construire au cœur de la ville, rue de l’Alma, un bâtiment ultra-moderne de 4 étages, surplombant le centre-ville. L’immeuble est équipé du premier ascenseur de Nouvelle-Calédonie. Les Nouméens l’appelleront longtemps « l’immeuble Ventrillon ».
Roger Brissaud, lui, est un professionnel de la presse. Originaire de Haute Savoie (son frère était directeur du prestigieux Office du Tourisme de Chamonix et hôtelier), il a créé en 1957 le premier quotidien polynésien « Les Nouvelles de Tahiti », racheté par le groupe Hersant, et disparu en 2014. Ce succès d’alors l’inspire pour trouver des partenaires calédoniens, et dupliquer son aventure polynésienne. Il y avait « Les Nouvelles de Tahiti », il y aura « Les Nouvelles calédoniennes ».
A cette époque, la presse quotidienne locale est occupée par un mastodonte, la France Australe, propriété de la principale puissance de la Nouvelle Calédonie d’alors, la Société le Nickel du groupe Rothschild. Pour être compétitif, le jeune quotidien fonctionne avec des moyens réduits, mais des équipes rédactionnelles hyper motivées : 4 journalistes de faits divers et d’information générale, 3 reporters photographes éventuellement polyvalents et un journaliste des sports à temps partiel. Le journal est écrit chaque jour sous l’œil vigilant de Roger Brissaud, également rédacteur d’un billet dévoré quotidiennement par les lecteurs, « le billet de l’Affreux Jojo », et dessinateur humoristique. Edouard Ventrillon en assure la direction d’une main de fer, assisté d’un ancien journaliste parlementaire, Roland Chartier, et d’un correcteur d’une grande culture, Hubert Noilhan.
C’est également le temps de la machine à écrire reporter, du développement maison des pellicules photo, de début de la composition moderne, et de l’insolation des plaques pour l’imprimerie. Cette dernière est installée au rez-de-chaussée du bâtiment, rue de la République, regroupant tous les départements du journal.
SEULES LES NOUVELLES SURVIVENT EN 1979
Pour la France Australe, l’affaire se corse avec les difficultés économiques de la Nouvelle Calédonie. Le territoire a connu le « boom » du nickel en 1970, puis la récession due à la crise pétrolière à partir de 1973.
En 1975, la Société le Nickel, au bord du gouffre, est reprise par l’Etat au travers du groupe Elf Aquitaine. Le gouvernement central impose la création de l’impôt sur les bénéfices des sociétés qui se substitue à de lourdes taxes à l’exportation que la SLN est contrainte de payer en dépit de ses pertes abyssales. « Le Nickel » peut ainsi poursuivre son exploitation et surtout assurer des revenus pour des milliers de familles calédoniennes.
Cependant, pour le métallurgiste calédonien, toujours à la peine, le maintien d’un quotidien déficitaire n’est évidemment pas l’une des priorités. Au contraire, en 1979, il en décide la fermeture. Les Nouvelles calédoniennes se retrouvent ainsi en situation de monopole. A la rédaction générale pour ce moment d’histoire, toujours une équipe resserrée : Jacques d’André pour les chroniques du Palais, les relations police gendarmerie, Henri Lepot, pour le Port et les faits divers en lien avec d’André, Jean-Noël Féraud (qui fera ensuite un tour par le journal Le Monde) et Gaby Briault pour les informations générales. Côté photo et reportages de terrain, un team très actif est mené par Gérard Dinet.
CRISE ET RÉVOLUTION 2.0
Depuis cette époque prospère, les Nouvelles calédoniennes ont plusieurs fois changé de propriétaire. Le journal a gagné naturellement en volume. Mais surtout, l’apparition d’Internet, et le prodigieux développement de l’information de toutes natures, véhiculée par le numérique, a changé l’économie de la presse mondiale. La crise du Covid n’a fait qu’aggraver cette situation. En Australie, par exemple, le groupe Murdoch a dû fermer plusieurs dizaines de journaux papier. La presse Outre-mer française connaît de graves difficultés. Les modèles économiques de l’après-guerre sont désormais révolus.
La Nouvelle Calédonie n’échappe évidemment pas à ces évolutions. Ses difficultés économiques ont, de surcroît, frappé en priorité les « budgets pube » des annonceurs privés. Avec la disparition de l’édition papier des Nouvelles, une page de l’histoire de la presse calédonienne se tournera probablement définitivement. Mais la nature ayant horreur du vide, il ne fait pas de doute qu’une page nouvelle, sûrement innovante, fondée sur un modèle économique différent, accentuera son émergence. Titres nouveaux, information plus instantanée, mais également dossiers et nouvelle répartition entre factuel et décryptage, la révolution 2.0 fait aussi son chemin en Calédonie.