
C’est un portrait événement que Gilles Ménage a réalisé en radio. Celui d’Elie Poigoune, l’une des personnalités marquantes de ces 50 dernières années. Animateur du Groupe 78, participant à la création du Palika, il avait été un pourfendeur de la colonisation, connaissant, pour cette raison, la prison calédonienne par deux fois. Professeur de mathématiques estimé de ses élèves, il a marqué le difficile domaine de la réussite scolaire par la réalisation d’un tutorat cité comme modèle, et grâce au soutien duquel des dizaines d’étudiant provenant de milieux très modestes, notamment Kanak, ont accédé au baccalauréat.
Longtemps président de la Ligue des Droits de l’Homme, ses positions humanistes et non partiales ont confirmé le respect qu’inspire l’homme humble qu’il est toujours resté, mais dont l’activité altruiste devrait servir d’exemple à beaucoup.
Aujourd’hui, Elie Poigoune tire un bilan sans complaisance de toutes ces années où la « lutte » s’est aussi confrontée à la réalité démocratique, sociale, culturelle, économique.
Au fil des années, il a perçu les valeurs de la République, des valeurs profondes qu’il sait contextualiser. « Les relations étaient un peu dures au début, mais parce que c’était d’autres époques d’autres manières de voir les choses les choses ont beaucoup évolué et je pense que c’est de cela qu’il faut tenir compte« .
Mais au bout de ces cinquante ans de cheminement, d’expériences humaines, de distinction entre l’utopie des idéologies, et les aspirations quotidiennes « des gens », il fait le constat que « nous les Kanak, on a besoin d’un grand pays comme la France, un grand pays frère je suis persuadé que la France doit continuer à rester ici. »
Ce chemin n’est pas sans rappeler celui d’Aimé Césaire, chantre de la décolonisation et de la négritude, poète et homme politique luttant pour l’indépendance des Antilles avant de considérer que, tout compte étant fait, l’autonomie au sein de la République conjuguait au mieux les aspirations et l’intérêt de son peuple.
Pour la première fois, publiquement, Elie Poigoune livre une telle réflexion : … « je suis quelqu’un qui ne crache pas dans la soupe. J’étais quelqu’un indépendantiste, mais on ne peut plus dire que la Nouvelle Calédonie peut être indépendante« .
Altruiste et humaniste, Elie Poigoune l’est et le reste. « La société calédonienne, elle est faite de plusieurs populations qui sont venues ici et qui ont construit leur vie et qui ont construit de belles choses. Moi je n’ai pas envie de détruire tout ça, j’ai envie qu’on puisse trouver une situation où les gens se sentent bien, ne se sentent pas menacés, ne se sentent pas exclus, ne se sentent pas étrangers ici parce que certains disent que ce sont des étrangers et qu’il faut qu’ils repartent chez eux. Non. On est tous d’ici et il faut qu’on construise notre vivre ensemble. C’est le challenge qui nous est donné et je pense que c’est notre challenge à tous. »
Ce sera désormais son combat, après le passage de témoin à la présidence de la Ligue des Droits de l’Homme. Il s’engage sur ce challenge : « Les quelques années que je vais vivre, je vais consacrer mon énergie pour parvenir à ça si c’est possible. Je suis persuadé que c’est possible.«