PARIS : POURQUOI FROGIER A QUITTÉ LA TABLE DES DISCUSSIONS

Première réunion d’échanges sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie avec le Premier ministre à Paris, et premier clash avec le départ du Sénateur Pierre Frogier de la table des discussions. Pour quelle raison ? Coup d’éclat ou vrai désaccord ? Pour mieux comprendre la réaction du parlementaire, probablement le plus expérimenté des participants loyalistes en matière de discussions avec l’Etat, il faut, d’une part, se rappeler quelques déconvenues récentes avec le pouvoir central, et d’autre part, ne pas perdre de vue le véritable enjeu politique de cette réunion parisienne. Décryptage.

CHIRAC A « ROULÉ LES CALÉDONIENS DANS LA FARINE »
Ce fut, pour les loyalistes, une véritable trahison. Jacques Chirac, président de la République adulé par les loyalistes parce que, durant les événements de 1984, il fut pratiquement le seul à soutenir la cause de la Calédonie dans la France, leur a pourtant asséné un coup de poignard dans le dos en 2007. Alors que l’Accord de Nouméa avait consacré un corps électoral « glissant » à l’issue de dix années de présence sur le territoire, alors que le Premier ministre de Chirac, Lionel Jospin, avait fait éditer des plaquettes expliquant ce corps électoral glissant, Chirac avait mobilisé le Parlement pour modifier la Constitution et imposer le gel du corps électoral.

Bien avant, l’Etat avait pris position pour l’indépendance association de la Nouvelle-Calédonie par la proposition d’Edgar Pisani le 7 janvier 1985. Cette intention s’était éteinte après le meurtre du jeune Tual à Boulouparis, et la nuit bleue de Nouméa.

DES RELATIONS D’AMOUR ET DE MÉFIANCE
Depuis, les responsables loyalistes, qui ont vécu ces rapports complexes avec l’Etat et ses raisons d’Etat, entretiennent une relation d’amour profond avec la France des lumières, des Droits de l’Homme, de la générosité, et ses gouvernements forcément impliqués dans des calculs politiques. Les Pieds-Noirs l’ont cruellement vécu.

Chat échaudé craint l’eau froide. La vie politique est ainsi faite. Machiavel était-il un cynique ou un génie ?

LE SEUL VRAI POINT D’ACTUALITÉ POLITIQUE DE PARIS
Alors qu’à l’exception de l’Uni-Palika, toutes les sensibilités politiques se sont retrouvées à Paris à l’invitation du Premier ministre, quelle est la question clé ?

Personne ne peut le contester. Discuter directement avec la « puissance administrante » des conséquences de l’indépendance d’une partie de son territoire est essentiel. C’est la première fois que ce livre est ouvert. Il était temps. Cependant, mieux vaut tard que jamais !

Mais les conséquences du « oui » comme celles, moins prégnantes, du « non », relèvent d’une préoccupation à court terme, et non immédiate.

La date du troisième référendum, elle, est le point d’orgue le plus réel et le plus immédiat. La fin de l’Accord de Nouméa était en 2018, et nous jouons les prolongations depuis cette date. Emmanuel Macron sera-t-il incapable de clore la séquence ouverte il y a 23 ans ?

LE DOIGT SUR CE QUI FAIT MAL
« Les indépendantistes exigent, ce n’est pas mon propos, ce sont eux qui le disent, exigent que le référendum ait lieu le plus tard possible« , indique Pierre Frogier qui ajoute qu’au cas où le gouvernement donnerait droit à cette exigence, il considèrerait que « ce gouvernement aurait basculé dans le camp des indépendantistes (RRB)« .

Autre motif de vigilance : le sondage commandé par le gouvernement français, juste avant la réunion de Paris. Troublante coïncidence ! Ce sondage établit -sans surprise- que les Français de l’hexagone trouveraient presque normal que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance … Le Sénateur s’interroge légitimement sur cette démarche. Ne vise-t-elle pas à soumettre les loyalistes à une pression indirecte, alors que vont leur être expliquées les dispositions éventuelles d’une indépendance association ?

En l’absence de réponse, Pierre Frogier a donc décidé, dans l’attente, de ne plus participer aux réunions parisiennes. Un façon, également, d’alerter le puissant groupe des Républicains au Sénat qui lui apporte un soutien sans faille, sur le véritable enjeu de la séquence qui se déroule actuellement à Paris.

Accessoirement, Marine Le Pen ne doit pas manquer de s’intéresser à ces péripéties dont l’enjeu politique est la préservation de l’intégrité du territoire national et pour laquelle, le président de la République est le garant. Ou peut être, dans un an, la présidente de la République …