LE POUVOIR AUX PROVINCES : LA PROPOSITION DE PIERRE FROGIER

Pierre Frogier a ses partisans et ses détracteurs. Mais personne ne peut nier son exceptionnelle connaissance de la vie politique calédonienne, et son réseau d’influence tout aussi exceptionnel dans les hautes sphères de l’Etat. Il a été aux responsabilités à toutes les fonctions locales et de tous les statuts depuis la fin des années 70 : maire, conseiller territorial, conseiller de gouvernement, ministre, conseiller de région, président de région, conseiller de province, membre du Congrès, membre du gouvernement, président du gouvernement, président de province. Il est aujourd’hui Sénateur, après avoir occupé un siège de député au Palais Bourbon. Il a participé à la négociation de tous les accords contemporains, Matignon, Nouméa, ou aux tentatives d’accord avortées, comme Nainvilles-les-Roches. Ancien président du Rassemblement, après avoir été l’un des dirigeants éminents du RPCR, il est aujourd’hui libre d’exprimer un sentiment politique intime. C’est ce qu’il a fait devant les Sénateurs ce 5 mai 2021.

LE CONSTAT D’UN DÉSACCORD APRÈS 30 ANNÉES
Sa déclaration est le fruit personnel d’un examen de 30 années d’espoirs, d’essais, de réussites et de déceptions, mais surtout d’expérience à travers cette période qui s’achève, ouverte par les Accords de Matignon, et poursuivie par l’Accord de Nouméa.

Plusieurs constats émergent à l’heure du bilan, et surtout à l’issue des deux premiers référendums. « Il y a deux Calédonie, l’une majoritairement de statut de droit commun, l’autre majoritairement de droit coutumier, qui se côtoient, mais qui ne se projettent pas de la même manière dans l’avenir« . En clair, 30 ans après les Accords de Matignon, « nous n’avons pas réussi à construire une communauté de destin« , en dépit de progrès économique, sociaux, culturels, et d’un retour à la paix.

« Ce que nous avions imaginé il y a vingt ans est dépassé« , juge Pierre Frogier. Quelque peu conforté par les faits. Pour lui, il faut donc « négocier un désaccord » pour que les mouvements antagonistes « s’entendent sur leurs divergences pour en limiter leurs effets« .

LES PRINCIPES DE LA SOLUTION PROPOSÉE
Au résultat du bilan de 30 années qui s’achèvent par un clivage politique apparemment insurmontable, Pierre Frogier énonce les principes de la solution institutionnelle. Selon lui, elle repose à la fois sur l’adaptation « aux réalités du terrain« , et qui vise à « harmoniser les contraires« , en évitant « d’uniformiser en écrasant les différences« .

PAS DE PROCÈS EN PARTITION EN 1988
Cette solution, a-t-il écrit, n’est pas une partition, mais « le respect de nos différences » pour avoir « cette terre en partage« . Devant ses collègues, il rappelle que lorsque le territoire a été partagé en 3 provinces en 1988, et pourtant « personne n’a engagé de procès en partition, ni à Jacques Lafleur, ni à Jean-Marie Tjibaou, ni à Michel Rocard« .

LES PROVINCES, SOLUTION DURABLE DANS LA FRANCE
Il revient ainsi aux fondamentaux des Accords de Matignon, qui sont la naissance d’un territoire fédéral constitué de trois provinces.  Pour Pierre Frogier, la prééminence des provinces « garantira la solution durable d’une Calédonie multiple, mais indivisible dans la France« . Ces provinces seraient dotées de « toutes les compétences« .

Les communes y seraient « territorialement rattachées » et pourraient voir leurs compétences renforcées. Un conseil coutumier rassemblerait les chefferies inscrites dans la province.

Quant au régime électoral, il pourrait être différencié pour les élections provinciales.

L’Etat conserverait l’exercice des compétences régaliennes.

GARANTIR L’UNITÉ DU TERRITOIRE
L’unité du territoire serait garantie par un Collège qu’il qualifie de « médiateur« , composé du représentant de l’Etat et de représentants des assemblées de province pour assurer la gouvernance de la Nouvelle-Calédonie.

Celle-ci s’apparenterait à la structure qui existait entre 1990 et 1998 alors que la Calédonie fonctionnait sans gouvernement, à l’exclusion des fonctions exécutives qui échoiraient aux provinces.

Une Charte, document à caractère solennel, serait soumis au vote référendaire de la population. Elle définirait l’ensemble des valeurs transcrites par le Droit, « concernant les personnes, la famille, les rapports entre les personnes et leurs rapports au groupe social« .