
Finalement, les efforts acharnés du maire de Dumbéa et de l’ancien proviseur du Lycée du Grand Nouméa auront porté leurs fruits : devant un public nombreux, les coutumiers, les autorités et la famille, l’établissement a été officiellement baptisé « Dick Ukeiwe ». L’élu Mélanésien attaché à la République le plus illustre des 40 dernières années. Leçons.
SOUS LE RÉGIME DE L’INDIGÉNAT
Le petit Dick, né à Xodé, dans le Loessi à Lifou, dont le père est agent administratif à la gendarmerie de Nouméa, ne peut aller à l’école. Elle est réservée aux seuls citoyens français, alors que les Mélanésiens sont soumis au régime de l’indigénat : impôt de capitation, corvées, autorisations pour se déplacer hors des réserves, et accès fermé à l’école publique.
Mais par chance, Dick est un compagnon de jeu des enfants Loupias, dont le père est bijoutier au centre-ville. Ses copains convinquent leur papa de solliciter une dérogation auprès du capitaine Meunier, un gendarme progressiste pour cette époque. Dérogation obtenue, pour une scolarité à l’école Frédéric Surleau jusqu’au « certif ». Dick Ukeiwe obtient le certificat d’études primaires qui, à cette époque, est considéré comme un véritable diplôme en raison de son niveau et de sa qualité. Malheureusement, la porte du collège lui est fermée. Satané régime de l’indigénat.
Qu’à cela ne tienne, il intègre l’école des « moniteurs » de Montravel, et devient enseignant, d’abord à Oundjo, puis à Tiga. Un enseignant modèle, comme il n’en existe probablement plus : à Tiga, il … construit l’école, et il fait également office d’infirmier et d’opérateur radio. Une volonté hors du commun.
UNE HAUTE LIGNÉE COUTUMIÈRE
Ukeiwe signifie « la marée qui monte ». Dick Ukeiwe avait coutume, dès son arrivée à sa maison, à Xode en bord de mer, de se « mettre en manou » et de prendre un bain de mer pour honorer son nom.
Son clan, « Api Angajoxu », est celui des petits fils du Grand Chef du Loessi. Cette haute lignée coutumière sera cependant contrebattue lors des événements, au cours desquels sa maison sera brûlée, et sa famille évacuée à Dumbéa. Il y résidera jusqu’à sa mort.
UN PARCOURS POLITIQUE D’EXCEPTION
D’abord militant de l’Union Calédonienne, et membre de l’AICLF (organisation protestante créée par les religieux après guerre pour s’opposer à la menace communiste – Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français), il est élu à l’Assemblée Territoriale en 1957. Eloigné pendant 10 ans de la vie politique, il sera de nouveau élu en 1972, mais cette fois, aux côtés de Georges Chatenay, dans les rangs des gaullistes de l’Union Démocratique.
Il rejoint Jacques Lafleur en 1977 pour fonder le RPCR et prendra la tête des élus du Conseil de Gouvernement de 1979 à 1982, date à laquelle une coalition Front Indépendantiste/FNSC le fait tomber. La suite est davantage connue : président du gouvernement dans le cadre d’un nouveau statut d’autonomie interne mis au point par Georges Lemoine, secrétaire d’Etat à l’Outre mer en 1984, il deviendra une figure de proue des loyalistes pendant les « événements ».
Il exercera ensuite les hautes fonctions de Sénateur, puis de Député Européen, avant un retrait politique. Son discours le plus fameux fut un plaidoyer et une proposition politique devant le Sénat en janvier 1985, un discours -procédure exceptionnelle- affiché dans toutes les mairies de France. Il sera signataire des Accords de Matignon-Oudinot.

UN NOM ÉVOCATEUR DE LA COUTUME ET DE LA RÉPUBLIQUE
Si le clan a accepté de faire don de ce nom au Lycée, et si les autorités coutumières du lieu ont également accepté, c’est d’abord un hommage au personnage hors norme que fut Dick Ukeiwe. Mais c’est également pour que l’esprit de Dick Ukeiwe puisse inspirer les générations d’élèves qui seront instruits dans cet établissement.
Aujourd’hui, tout paraît facile en comparaison de ce que fut le chemin de Dick Ukeiwe pour accéder au savoir. Tous les jeunes ont accès à l’école gratuite de la République ou aux écoles privées. Ils disposent de bourses, de moyens matériels d’éducation. Ils peuvent être accompagnés pour des études supérieures en Nouvelle-Calédonie comme en métropole ou ailleurs.
L’ombre et la lumière. Dick Ukeiwe a compris très tôt les progrès que la France gaulliste pouvait accomplir après les ombres de la colonisation. Jusqu’à son dernier souffle, il est resté convaincu que le progrès autant que la préservation des valeurs coutumières n’avaient qu’un seul garant : la France.