
Organisateur de la manif qui a réuni entre 10.000 et 13.000 personnes non loin du lieu de quatorzaine de Sébastien Lecornu, Raphaël Romano est lui même étonné de ce succès. C’est que le rassemblement, paisible, a été organisé pratiquement au pied levé, avec certes les appels à participation de la plupart des partis loyalistes, mais sans logistique importante. A dire vrai, ce sont les réseaux sociaux qui l’ont porté, relayant des messages à un public très mobilisé par le second référendum d’autodétermination.
A l’échelle de la France, ce serait une manifestation de 2,6 millions de personnes. Elle n’est pas sans conséquences, et véhicule 4 messages.
LES LOYALISTES DEMEURENT DÉTERMINÉS
A l’issue du scrutin du 4 octobre, le phénomène de « perdants-vainqueurs » et de « gagnants-défaits » s’est renouvelé. En 2018, le résultat des indépendantistes avait été bien au dessus des chiffres annoncés par un sondage; en 2020, il progresse de 3 points. Mais alors que le « non » l’a emporté, la progression du « oui » apparaît comme une victoire !
Aujourd’hui, toute la question est donc de savoir si, en cas de troisième référendum identique au deux précédents, le « non » l’emporterait une nouvelle fois.
Les évaluations de maisons dans le but de leur mise en vente, les transferts d’argent vers l’extérieur, les recherches de déplacements de valeurs patrimoniales montrent que certains craignent le prochain résultat. Mais comme lors des événements de 1984, l’immense majorité des Calédoniens loyalistes « reste à la maison ». La démonstration de samedi montre qu’elle est inquiète, mais calmement déterminée.
UN QUADRUPLE MESSAGE
Le rassemblement, presqu’improvisé, est d’abord la manifestation d’une réalité post-3e référendum éventuel : dans le cas d’une nouvelle victoire du « non », et à l’issue de la période transitoire correspondant à la validité de l’Accord de Nouméa (lire notre article), le rétablissement dans leurs droits de 34.500 Calédoniens exclus du corps électoral devra être effectué pour l’ensemble des élections, conformément aux droits constitutionnel, européen, et aux règles rappelées par l’Onu. C’est le premier message.
Mais la manifestation est à quadruple détente. Le second message est, en effet, à l’attention de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer confiné à deux pas des manifestants, dans la résidence du Haut Commissariat de la République. Le troisième, à l’attention des indépendantistes dont une partie était en réunion de travail. Et le quatrième, en direction des partis politiques métropolitains qui se préparent à entrer dans l’arène des élections présidentielles de 2022.
LA FRANCE ET SON GOUVERNEMENT DEVRONT DIRE LES VÉRITÉS
Au moment où les partis loyalistes confirment leur volonté d’ouvrir des discussions pour éviter un troisième « référendum binaire », tandis que les indépendantistes affirment que seule, l’option de l’indépendance peut être sur la table, le gouvernement français, représenté par Sébastien Lecornu, tient les principaux atouts dans sa main.
C’est en effet de la France que dépend le maintien d’un des trois plus hauts niveaux de vie du Pacifique, apanage de la Calédonie. 175 milliards de CFP pour l’exercice des compétences régaliennes, les aides au développement, le financement de l’enseignement privé et de l’enseignement secondaire et supérieur public, ça compte !
Passé les slogans vides de sens, c’est ce niveau de vie qui permet l’enseignement gratuit et de qualité, une couverture sociale unique dans la région, un niveau de santé remarquable, des aides et des bourses scolaires importantes, le maintien de régimes de retraites élevés, et une injection dans la consommation de 9000 personnels rémunérés par la France, source d’emplois.
C’est de la France que dépend le régime de nationalité … française. Et c’est par la France que la diplomatie occidentale de la zone, américaine, australienne, néo-zélandaise, et coréenne du Sud -indéfectible alliée des USA-, impulsera sa vision géo-politique.
En clair, l’Etat et son gouvernement peuvent peser très lourdement pour conduire les adversaires calédoniens à la table des négociations, et à une conclusion acceptable par tous.
LES INDÉPENDANTISTES NE SONT PAS LES SEULS MAÎTRES DU JEU
C’est le second message. Pour l’heure, 46% ne font pas une victoire. Et combien même celle-ci pourrait-elle être envisagée, il serait bien difficile d’imposer démocratiquement tout, à une moitié d’une population électorale, et à près de 60% d’une population tout court.
Le FLNKS a manifesté sa volonté d’aller au troisième référendum tel que prévu dans l’Accord de Nouméa. Mais sa certitude de gagner n’est pas la preuve d’une humilité clamée à chaque occasion coutumière ou pas. La sagesse suggère pourtant que les résultats d’un scrutin sont connus à l’issue, et non au préalable. Les loyalistes, pour leur part, se sont fait rappeler cette évidence en 2018.
Or, si le « non » venait à l’emporter, comme cela est fort possible, il faudrait bien parler du sort des 35.000 Calédoniens « exclus », et les conditions de leur réintégration dans le corps électoral local.
LES PARTIS POLITIQUES MÉTROPOLITAINS VONT ENTRER DANS L’ARÈNE
Déjà, la saillie de Bruno Rétailleau à l’adresse du Premier ministre, a rappelé que si jusqu’à présent, la classe politique française prenait garde à ne pas faire du sujet calédonien un enjeu de politique intérieure, le gouvernement central serait bien inspiré d’être … attentif.
C’est que l’élection présidentielle se tenant en mai 2022, la campagne électorale est virtuellement lancée. Emmanuel Macron, empêtré dans une gestion calamiteuse de la crise du Covid, et dont l’image a été altérée par la crise des gilets jaunes, surfe sur les sondages pour cause d’absence d’adversaire, à l’exclusion de Marine Le Pen.
Mais dans une France qui perd beaucoup de ses repères, et qui a été capable de porter à la tête de ses grandes villes, des écologistes sortis de nulle part, qui peut prédire ce qui se passera au cours de l’année et demie qui s’annonce ?
TOUR DE CHAUFFE
Le succès du rassemblement de samedi a surpris le FLNKS, tout occupé à sa courte défaite pour laquelle il entretien un parfum de victoire.
De la même manière, il a surpris -agréablement- la presque totalité du camp loyaliste, tout occupé à sa courte victoire contre laquelle ses adversaires voudraient instiller un parfum de défaite.
Un camp indépendantiste, « gonflé à bloc », décidant de demander le troisième référendum, mais à qui une réalité dans le rapport de forces est rappelé, un camp loyaliste revigoré par cette inattendue démonstration de force, un ministre confiné, pour l’instant spectateur d’un paysage politique mouvant, tout cela ressemble bien à un tour de chauffe avant que ne commencent les tractations.
Au vu des forces en présence, une chose est certaine : aucun camp ne peut imposer, avec brutalité, ses vues et son éventuelle victoire. S’ouvre peut être, la voie du compromis et des concessions raisonnables. Le fameux troisième accord.