
La Nouvelle-Calédonie, à l’issue du deuxième référendum, est comme un funambule amateur en équilibre incertain sur un fil agité, pouvant autant conserver un équilibre instable que basculer dans le vide. Le rapport de force possède deux faces : électoralement, le territoire est coupé en deux, démographiquement, la partie indépendantiste est moins nombreuse que la partie favorable au maintien de la Calédonie dans la République. Quant à la France, elle se trouve dans l’obligation de respecter la loi organique, et d’éviter une décolonisation ratée en pleine campagne présidentielle. Toutes conditions réunies pour que les trois “partenaires historiques” soient aujourd’hui dans une impasse.
Les indépendantistes ont le vent en poupe, mais la suite présente bien des dangers pour eux. Ils réclament, à bon droit, l’organisation du troisième référendum, convaincus de leur victoire future dans les urnes. La victoire, comme la défaite, présentent toutes deux des risques majeurs.
En cas de victoire, les indépendantistes auraient rapidement à rendre compte des assurances apportées à leurs partisans dans des matières qui touchent à la vie de chacun. Or, les affirmations de campagne devraient alors faire place à la cruelle réalité : la chute brutale, à court terme, du niveau de vie, du niveau d’enseignement, du niveau de santé, de l’emploi, ainsi que du système de couverture sociale. En cas d’indépendance, Kanaky-Nouvelle Calédonie ne devra compter que sur ces seules ressources. Possible, mais avec d’inévitables remises en cause des “droits acquis”, quant les électeurs auraient cru que tel ne serait jamais le cas. Et qui pourraient alors demander des comptes à leurs dirigeants.
En cas de défaite, un scénario toujours possible, ils devraient subir l’ouverture du corps électoral, hypothèse admise par toutes les juridictions française, européenne et onusienne. Les scrutins ayant été suivis et validés par l’ONU, difficile, alors, de se mettre hors la loi internationale.
Les loyalistes ont gagné, et en démocratie, la “petite majorité” et la “grosse minorité” n’existent pas. Seule compte la majorité. En revanche, la réalité est la faiblesse de l’écart entre le refus d’indépendance et la demande d’indépendance. Certes, si la trajectoire indépendantiste est ascendante, un infléchissement de la courbe est possible, compte tenu du niveau exceptionnel de participation au second scrutin.
Exclure une troisième victoire du “non” serait donc une erreur de calcul des probabilités. Mais exclure une victoire du “oui” serait un déni de réalité électorale.
Les uns comme les autres ne pourraient probablement pas gérer leur victoire au troisième référendum tant les rapports de force s’équilibrent. En cas d’un “non”, concentré en grande partie sur l’agglomération, comme en cas d’un “oui”, démographiquement minoritaire, et couvrant des zones économiquement et fiscalement peu productives, la frustration, comme la peur, pourraient générer “la” situation de tous les dangers”. Quant à la France, comme en 1984, elle risquerait de se retrouver dans un nouveau bourbier. Après les présidentielles et les législatives, dans le moins risqué des cas, pendant la campagne dans l’hypothèse de graves dérapages.
L’exigence de trouver un “nouvel accord” est une lapalissade, mais point de cette perspective si celle de l’indépendance n’est pas sur la table. Ce “ticket” d’entrée est-il évitable ? Jean-Marie Tjibaou a été assassiné pour avoir signé un accord dans lequel ne figurait pas l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Qui peut croire un seul instant qu’à trois pour cent de la victoire, ses successeurs renonceront ?
L’Etat, prudent et disposant de quelques chiffres qui lui avaient été fournis avant la tenue du second référendum, a ouvert, par la voix du président de la République, la possibilité d’approfondir les conséquences du “oui” à l’indépendance.
Sur ce sujet sensible, les loyalistes pourraient se diviser un temps. Certains craignent qu’admettre que la Calédonie pourrait devenir indépendante provoquerait la fracture de digues anti-indépendantistes. D’autres estiment qu’un compromis difficile vaut mieux qu’une rupture brutale et catastrophique.
Encore une fois, l’Etat jouera le rôle majeur. D’abord, c’est lui qui possède les clés essentielles pour chacune des parties calédoniennes. Le maintien de l’ordre, d’abord, avec, si nécessaire, des unités spécialisées. Les finances, ensuite, quel que soit la suite du processus, parce qu’une intervention d’un pays étranger tiers pour un montant de 1,3 milliard d’euros relève de l’incantation, et que, notamment, l’essentiel des budgets de l’enseignement relève aujourd’hui de la générosité de la France. La compétence de la monnaie, par ailleurs, si précieuse pour les équilibres économiques et le niveau de vie. Enfin, parce dépendent de lui les conditions de nationalité française en cas d’indépendance, c’est à dire notamment, l’accès à l’Europe et aux enseignements français et européens.
Cette écrasante responsabilité de l’Etat n’est pas nouvelle. Elle s’est présentée en 1988, à Matignon, en 1998, à Nouméa. Comme un hoquet de l’Histoire, elle est de retour en 2020.