
En 2008, sous l’égide de feu Jacques Chirac, la Nouvelle-Calédonie a été la victime d’une restriction du droit de suffrage sans équivalent dans le monde démocratique. Le gel du corps électoral a été un coup de force décidé par le Parlement réuni en Congrès à Versailles pour adopter une mesure d’exception, exonérée de son examen préalable par le Conseil Constitutionnel. La Nouvelle-Calédonie n’a guère été plus digne. Ses Institutions n’ont même pas été réunies pour donner l’avis … des représentants de la population « intéressée ». Mais alors que se profile la clôture de l’Accord de Nouméa, ainsi que la fin de la tolérance du « gel » simplement admis pour la durée du régime « transitoire » de l’Accord, le retour d’une démocratie électorale plus conforme aux droits et libertés s’inscrit dans un futur qui se rapproche. Droits de l’Homme.
Depuis plus de 2 ans, c’est l’association « Un cœur Une voix » qui œuvre pour le retour à un droit de suffrage respectueux des libertés et des droits de l’Homme. L’objectif n’est assurément pas de provoquer des zones de conflit politique, mais de rappeler que dans une collectivité toujours française, il est totalement anormal de confisquer le droit républicain élémentaire de suffrage. Oublierait-on que la France est le fondateur des Droits de l’Homme et du Citoyen ?
Pour atteindre ce but, l’association a choisi la solution paisible du Droit national et international. La première phase a été la saisine du Conseil d’Etat en mai 2019.
L’OUVERTURE VERS LA VOIE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Deux étapes étaient en effet envisageables. La première était celle de la plus haute juridiction française : le Conseil d’Etat.
C’est donc auprès du Conseil que la requête d’Un cœur Une voix a été portée. Le Conseil d’Etat pouvait statuer selon plusieurs options. Cependant, une seule permettait de passer à l’échelon européen : un arrêt prononçant le non lieu à statuer.
Le recours visant le corps électoral des élections provinciales de 2019 a été déposé en mai dernier. Il a fait l’objet de conclusions énoncées par le Rapporteur public le 31 mai, et le Conseil d’Etat a tenu son audience le 4 juin.
Le Rapporteur public a recommandé le non lieu à statuer. Le Conseil d’Etat a décidé de le suivre dans une décision prononcée le 14 juin.
Ce non lieu à statuer a permis à l’association de se pourvoir devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le délai de saisine étant de 6 mois suivant l’arrêt du Conseil d’Etat, ce pourvoi a été déposé par les avocats de l’association le 11 décembre dernier.
APRÈS L’ENREGISTREMENT, UN DÉLAI DE PLUSIEURS MOIS
Première phase de cette nouvelle procédure : la CEDH n’a pas rejeté la forme du pourvoi, et son enregistrement a été effectué.
Reste à présent le long délai de l’instruction. La bataille des avocats. Et les coûts à assurer pour l’association qui défend les exclus du corps électoral … peu nombreux à apporter une contribution, même modeste.
Pourtant, l’enjeu est considérable. Il comporte deux problématiques essentielles.
- La première est le retour à une démocratie raisonnable. La mouture originelle de l’Accord de Nouméa l’était, avec un corps glissant. Celui-ci permettait, d’une part, aux électeurs de justifier réellement leur appartenance à la Nouvelle-Calédonie et leur capacité à choisir leurs représentants aux assemblés locales, et d’autre part, évitait aux Kanak de devenir des étrangers dans leur pays premier par une simple immigration massive.
- La seconde est la prise en compte du pays réel. Imagine-t-on, en métropole, 9 millions de Français privés définitivement du droit de vote ?
LE JUGEMENT APPARTIENT À LA CEDH, MAIS IL CONCERNE AUJOURD’HUI 43 000 CITOYENS FRANÇAIS ET EUROPÉENS
« Notre objectif, indique Raphael Romano, président de l’association, est d’obtenir que la plus haute juridiction européenne confirme que le régime d’exception, c’est à dire le gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, s’achève avec la fin d’une régime transitoire, celui de l’Accord de Nouméa. Nos droits étant reconnus, les négociations statutaires relèveront alors naturellement des politiques« .
Personne ne peut préjuger, dans un an, deux ans ou trois ans, la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Une certitude existe : celle d’un constat, déjà effectué, d’une situation d’exception uniquement justifiée par une période particulière, limitée dans un temps défini par un accord (celui de Nouméa), et l’organisation de 3 scrutins d’autodétermination.
Autre certitude : le nombre important de « privés de droit de suffrage ». Assurément, un enjeu futur de négociations, y compris sur les choix institutionnels de la Calédonie si, entretemps, elle n’a pas opté pour l’indépendance.
Car si le « oui » ne l’emportait pas, quelle Cour validerait une telle confiscation du droit élémentaire de suffrage dans une collectivité de la République française ?