Non, le délit de prise illégale d’intérêt ne nécessite pas d’intention frauduleuse. Oui, le délit de prise illégale d’intérêt peut être un délit sans enrichissement personnel du coupable ni même d’intérêt direct. Oui, des relations de proches, et même … d’amitié, peuvent être constitutive de prise illégale d’intérêt. Mais quelle est cette contrainte, terrifiante pour certains, décidée par le législateur pour renforcer la probité des actes accomplis par les élus ? Décryptage.
MORALISATION DE LA VIE PUBLIQUE
Pas un mois, en métropole, sans qu’un élu ne se fasse épingler. Maires, simples élus, parlementaires, conseillers régionaux, les exemples ne manquent pas. Dernièrement, faisant suite à celle d’autres personnalités, la mise en examen, en Nouvelle-Calédonie, du député de la seconde circonscription, a défrayé la chronique locale. Ce dernier plaide pourtant, dans l’affaire en cause, ne posséder aucune action, aucun intérêt personnel, ne bénéficier d’aucune rémunération et d’aucun avantage.
Ainsi, le renforcement des mesures visant à garantir la probité de l’action publique, la sensibilisation de la Justice à ce délit, les règlements de compte entre élus, tout cela tend à faire du risque de prise illégale d’intérêt un sujet permanent de vigilance.
Le vote, en 2017, de la loi de moralisation de la vie politique a scellé cet état de vigilance.
QU’EST-CE QUE LA PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊT ?
« C’est le fait, pour une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement« . Le délit est sévèrement puni : 5 ans d’emprisonnement et 9 millions CFP d’amende !
SANS ENRICHISSEMENT PERSONNEL NI … INTENTION FRAUDULEUSE
Beaucoup s’imaginent que la prise illégale d’intérêt ne peut être constituée que s’il y a eu enrichissement personnel, ou, à tout le moins, intention frauduleuse. Ils se trompent. Il y a prise illégale d’intérêt … même sans intérêt !
La Cour de Cassation a rappelé que l’infraction était constituée quand bien même les prévenus n’avaient retiré de l’opération prohibée un quelconque profit et quand bien même la collectivité n’avait subi un quelconque préjudice : « le dol général caractérisant l’élément moral du délit résulte de ce que l’acte a été accompli sciemment ». Terrifiant.
LIENS DE PARENTÉ ET MÊME … D’AMITIÉ
Dans l’acte accompli par un élu au titre de son mandat électif public, l’intérêt direct qu’il peut en retirer peut être qualifié de délit. Mais la prise illégale d’intérêt peut également être constituée par un intérêt indirect, auquel cas il est considéré comme personnellement intéressé. Conseil d’Etat ou tribunaux administratifs ont ainsi considéré que les liens de proche parenté (ascendants, descendants ou collatéraux au premier degré) conduisent à considérer l’élu comme personnellement intéressé.
La notion d’intérêt indirect va très loin puisqu’elle peut toucher des liens d’amitié ! En effet, le 5 avril 2018, la Cour de cassation a jugé que le lien d’amitié peut être constitutif de « l’intérêt » nécessaire à la caractérisation du délit de prise illégale d’intérêts. Dans cette affaire, l’élu a été poursuivi pour prise illégale d’intérêt, et son ami, pour recel de ce délit !
LANCEURS D’ALERTE ET SIGNALEMENTS
Non seulement, les dispositions légales ont été renforcées, mais un véritable cadre a été bâti pour les « lanceurs d’alerte » ou les signalements effectués par des tiers.
En particulier, la confidentialité de l’identité des personnes effectuant un signalement est garantie. Il est même prévu que les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués, sauf à l’autorité judiciaire, qu’avec le consentement de celui-ci.
PRUDENCE DES ÉLUS ET PROBITÉ
Toutes ces dispositions incitent les élus à renforcer leur vigilance sur les situations présentant, à un moment ou un autre, un risque de délit.
L‘attention des contrôles de légalité, mais également, les signalements effectués par des particuliers ou même des associations comme Anticor (pour anti corruption), la plus connue d’entre elles, constituent des contraintes nouvelles au rôle et à la fonction d’un élu.
Phénomène de société, l’existence des réseaux sociaux ne fait qu’amplifier l’observation des situations supposées ou non irrégulières, ce qui n’exclue malheureusement pas, de prétendus « lancements d’alerte » relevant de la malveillance.