Le modèle « Matignon-Nouméa » a fait long feu. Les nouvelles institutions, concoctées en 1988 puis en 1998, censées donner les responsabilités les plus éminentes aux indépendantistes et les convaincre de renoncer à leur revendication, sont dépassées : ceux-ci ne veulent que l’indépendance. Les milliards déversés pour développer le Nord et les Iles sont sans effet : la majorité veut l’indépendance. Le destin commun qui devait résulter des « Accords » est un idéal qui n’a pas progressé d’un pas : pire, désormais, la quasi-totalité des Kanak veut l’indépendance. La méthode est donc obsolète. Au sein de la population civile, hors les milieux politiques professionnels, une opinion anti-conformiste se forme. Radicalement « politiquement incorrecte ». Dangereuses élucubrations ? Vision progressiste ? Saint Martin l’a fait …
PARTENARIAT AVEC LA FRANCE
Ce qui a évolué depuis 1975, date de la première revendication d’indépendance, c’est le concept même d’indépendance, explique-t-on.
Il s’agissait, initialement, d’une demande d’indépendance dite « kanak et socialiste ». En 1984, le FLNKS admet dans cette indépendance, les « victimes de l’Histoire », Calédoniens de vieille souche.
En 1988, lors des Accords de Matignon, le Front consent à reconnaître comme population « intéressée », donc légitime à se prononcer sur le destin de la Nouvelle-Calédonie, pratiquement tous les habitants présents sur le territoire depuis au moins 3 ans.
En 2018, le revendication d’indépendance évolue vers une non-rupture avec la France. Les termes sont utilisés avec précaution : d’abord souveraineté pleine et entière, il s’agit désormais d’une indépendance avec partenariat avec la France. Appellation moins inquiétante qu’une indépendance-association avec la France.
UNE PARTITION QUI S’EST CONSTRUITE … DÉMOCRATIQUEMENT
30 ans après les Accords de Matignon dont les signataires espéraient entraîner le plus grand nombre vers « un destin commun », dans l’indépendance pour les indépendantistes, dans la France pour les « loyalistes », le clivage provincial s’est accentué.
En Province nord, 76% des électeurs demandent une indépendance en partenariat avec la France. En Province des Iles, ils sont plus de 80% !
En Province sud, c’est l’inverse : 74% des votants choisissent une Calédonie ancrée dans la République.
La « partition » était un terme honni en 1988. Contre la bien-pensance, elle s’est imposée par les urnes, de la manière la plus démocratique qui soit .
TOUS AVEC LA FRANCE MAIS PAS TOUS DANS LA FRANCE
Élément rassurant pour ces théoriciens : tout le monde veut conserver un lien fort avec la France. Les indépendantistes, au travers d’un partenariat comprenant le champ de certaines compétences régaliennes, les « loyalistes, par le maintien de statut de collectivité de la République.
En d’autres termes, tous avec la France, mais pas tous dans la France.
Cette situation inédite pourrait mériter, disent-ils, d’être examinée avec soin. Bien sûr, elle impose une réflexion institutionnelle approfondie. Elle exige, des juristes et des autorités de la France, une probable novation institutionnelle, contraire au jacobinisme traditionnel de l’Etat.
Mais la République en est capable. Elle l’a démontré en 1988 et en 1998.
PRAGMATISME ET RÉALISME
Voila donc, prédisent les pessimistes, la Nouvelle-Calédonie prête à se radicaliser politiquement, tandis que l’économie risque de s’effondrer, entraînant probablement un funeste chaos social.
Le Président de la République et le Premier ministre semblent en avoir la prémonition.
Certes, le territoire est en mauvais état moral, économique et social. Mais ce n’est pas encore le chaos.
Pourtant, le temps presse.
Faut-il persister dans un schéma qui a conduit à l’échec, entend-on ça et là, ou faire preuve de pragmatisme ?
LES FRUSTRATIONS SOURCES DE VIOLENCE
Le referendum a généré des frustrations dans les deux camps. Jusqu’à quel point ?
Éteindre ces frustrations sera le moyen d’apaiser les tension qui ne feront que croître, au fil des deux autres referendum annoncés.
Il n’existe, disent ces analystes iconoclastes, qu’une façon d’y remédier : proposer aux indépendantistes comme aux loyalistes une voie démocratique leur permettant de satisfaire chacun leur légitime aspiration. Une solution, jusqu’alors, rejetée par les politiques.
Elle passe par une étape supplémentaire, d’un caractère inédit, et révolutionnaire pour la République.
Le statut de Saint Martin pourrait en constituer une illustration.
SAINT MARTIN est une île des Caraïbes peuplée de 75 000 habitants. Elle est divisée entre 2 pays distincts : sa partie nord, appelée Saint-Martin, est française, et sa partie sud, Sint Maarten, est néerlandaise.
La Saint Martin française est une collectivité de la République. Elle est peuplée de 35 000 habitants. La seconde partie de l’île, étrangère et néerlandaise, pourrait aussi bien être indépendante comme dans le cas de figure de l’île de Chypre.
UN DESTIN À LA CARTE POUR CHAQUE PROVINCE
En dotant les Provinces calédoniennes d’une capacité d’autodétermination, disent les partisans de cette idée, chaque collectivité choisirait selon son écrasante majorité. Tout en demeurant liée à la France.
Toute cette construction est évidemment plus simple sur le papier. Elle ne doit pas éluder, pour autant, le droit des minorités, indispensable à garantir, notamment dans le Nord.
Elle nécessiterait des solutions économiques viables, pour que les « contrats institutionnels » soient gagnant-gagnant.
Partition ? Horrible mot pour beaucoup, mais c’est vrai qu’il faut être aveugle pour ignorer qu’elle s’est construite dans les urnes, … démocratiquement.
Utopie dangereuse ?
Tout cela n’est que supputations parmi d’autres, peut être sans lendemain. Et en tout cas, très loin du « politiquement correct ».
Mais se réfugier derrière « les 18 000 voix » qui séparent la Calédonie entière de l’indépendance, ou entreprendre la conquête échevelée d’une partie de ces voix pour faire « basculer » une collectivité dans une indépendance refusée par une bonne moitié de sa population, ne serait-ce pas là l’utopie dangereuse ?