
Ce n’est pas un voyage en province qu’effectue cette fois-ci le Président de la République. L’Australie, la Nouvelle-Calédonie, c’est aux antipodes, dans la région Asie-Pacifique où se sont déplacées la dynamique économique et les enjeux de puissance. L’Australie, mais surtout la Chine, le Japon, les deux Corée, les Etats-Unis, l’Indonésie, entourent les petites îles qui seront les premières victimes du réchauffement climatique. Billard à multiples bandes.
LES ENJEUX COMMUNS FRANCE-AUSTRALIE
« Ce ne sont pas que des contrats commerciaux, c’est un enjeu stratégique« . C’est en ces termes que l’ambassadeur d’Australie à Paris, Brendon Berne, avait résumé les relations entre la France et l’Australie et le contexte de la visite d’Emmanuel Macron à Canberra.
La première rencontre entre le Premier ministre australien et le chef de l’Etat, l’an dernier, avait donné le ton. Le Président de la République s’était plu à rappeler le sacrifice des soldats australiens lors des combats de Villers-Bretonneux, tout près de sa ville natale d’Amiens. Un souvenir qui scelle une relation durable.
Les points de convergence, entre les deux pays, sont déjà nombreux : l’économie libérale, au G20, la lutte commune contre DAECH, l’accord sur la COP21. Mais au delà, « l’Asie-Pacifique, zone qui est importante pour nous aussi, compte tenu de nos territoires ultra-marins et de notre présence dans cette zone qui est aujourd’hui la plus dynamique du monde« , avait déclaré Emmanuel Macron au chef de l’Exécutif australien.
Certes, la France a passé, avec l’Australie, le « contrat du siècle » avec la fabrication de 12 sous-marins, représentant un marché de … 4 000 milliards de FCFP ! Mais de surcroît, plus de 600 entreprises françaises sont implantées sur le territoire voisin. C’est considérable. Certaines, comme Thalés ou Airbus – avions ravitailleurs, hélicoptères de combat, transport de troupes, radars-, interviennent dans des secteurs stratégiques.
Cependant, le premier submersible sera construit vers 2022, et pour l’heure, tous les transferts de technologie et de compétences sont en cours. Ils visent à doter l’Australie d’une « totale souveraineté » sur ces navires, pour employer un terme au goût du jour. Un suivi qui sera également à l’agenda de la rencontre d’Etat.

ENJEU ASIE-PACIFIQUE
L’Australie, pour sa part, compte sur son partenaire France sur deux enjeux de taille, l’un dans la zone, l’autre en Europe.
Dans la zone Asie-Pacifique, l’allié français est « désiré ». Il représente, aux côtés des Etats-Unis, l’Occident et son Droit. Même si l’Australie se veut être également un pays asiatique. La lutte contre le terrorisme, le maintien de la stabilité dans le Pacifique, l’équilibre avec le puissant -et envahissant- voisin chinois, premier partenaire commercial de l’Australie, tout cela rend Canberra sensible à la rassurante présence de la France.
D’autant que par ses territoires de Polynésie, de Wallis, et surtout, de Nouvelle-Calédonie, et les accords militaires liant les deux pays, la présence de la France est devenue essentielle.
Enfin, s’agissant de l’avenir politique de la Nouvelle-Calédonie, l’Australie a soutenu le processus des Accords. Elle suit avec attention les approches chinoises sur le nickel et les installations métallurgiques de l’île …
LIBRE ÉCHANGE AVEC L’EUROPE
Le deuxième enjeu est l’accès économique à l’Europe. Avec le Brexit, et le retrait de Londres des instances européennes, La France est un partenaire bienveillant pour l’Australie. Or, celle-ci souhaiterait bénéficier d’une entrée libre sur le marché européen pour ses exportations. Ce contrat de libre-échange fera partie des items de la rencontre.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE : LA FRANCE DES DROITS DE L’HOMME
On entend souvent la question : mais que vient faire Macron en Nouvelle-Calédonie ? Première réponse : la Calédonie est toujours collectivité de la République ; alors quoi de plus normal que le Chef de l’Etat nous rende visite ?
Mais il est vrai que cette visite se situe à 6 mois du scrutin d’autodétermination. Convergence des calendriers, peut être. Un partenariat important avec l’Australie, conclu par un « retour » à la visite de Malcolm Turnbull à Paris, d’abord, et dans la foulée, une visite sur le territoire particulier de la Calédonie. Emmanuel Macron vient ici parce qu’il avait prévu une rencontre avec les Australiens, ou l’inverse ?
Peu importe, au fond. Le Président de la République porte avec lui, sa fameuse déclaration sur les crimes contre l’humanité associés à la colonisation de l’Algérie. Une sortie qui avait choqué une grande partie des Français, et qui avait, pendant la campagne présidentielle, été éclipsée par l’annonce de l’Alliance du candidat Macron avec François Bayrou et le Modem. Probablement, un basculement dans la course à la présidence.
Il sera interpelé sur le sujet. Que répondra-t-il ?
POINT FINAL À LA DÉCOLONISATION
Pour le reste, il veut sceller la liberté d’un choix démocratique qui se prépare, en « restituant » les documents de « prise de possession », fondement de la colonisation en Nouvelle-Calédonie. Signifiant ainsi que cette époque fera place, soit à l’indépendance, soit au choix librement consenti de placer le territoire et ses habitants au sein de la République. Une sorte de point final de la décolonisation.
OUVÉA : ÉVITER LA STÈLE MÉMORIAL
Tout cela risque-t-il de se gâter avec la visite contestée par certains à Ouvéa ?
La contestation n’est pas anodine. Elle est menée par le village de Gossanah, au premier rang duquel, Maky Wea. Un nom qui résonne dans l’histoire dramatique de l’île.
Mais le groupe des « 30 », de fait, déclare être opposé à une visite à la stèle des kanak tombés lors de l’assaut de la grotte, « la tombe des 19 ». Pas à un déplacement du Président à Ouvéa.
CANDIDAT : POUR LA FRANCE – PRÉSIDENT : POUR LA CONSTITUTION
Sur le referendum, le candidat Macron s’était exprimé, en indiquant sa préférence pour que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République. Aujourd’hui, les Calédoniens ne doivent pas attendre du Président qu’il prenne position. Il est le garant de du respect de la Constitution.
Mais peut être rappellera-t-il la position de l’Etat sur la suite du scrutin : en cas de choix de l’indépendance, la mise en place de cette rupture, en cas de choix inverse, la mise en place, sous l’égide de l’Etat, d’instances chargées de réfléchir sur les « jours d’après ». Et sur les deux autres scrutins prévus …
RÉFORMES LÀ-BAS, CONSERVATISME ICI
Sur la situation économique, il ne pourra que constater la totale compétence et l’entière responsabilité des autorités calédoniennes. Osera-t-il comparer les réformes lancées sous son égide en métropole, et le conservatisme, parfois rétrograde, de l’économie locale ?
TERRE DE CONTRADICTIONS ?
En clair, des symboles sont attendus, mais pas d’annonces fracassantes. Sauf surprise, bien sûr. Probablement, sa vision de la place de la France dans le Pacifique, et le sort des Français présents dans cet océan. Aux Calédoniens de décider pour le reste.
Sûr que dans ces conditions, certains diront : » Alors, pourquoi est-il venu« . Les mêmes auraient déclaré, si la visite n’avait pas lieu : « Quand même, il aurait pu venir nous voir !« .
Nouvelle Calédonie, terre de parole, pas sûr. Terre de partage, institutionnel, essentiellement. Terre de contradictions ? A chacun de répondre.