Elie Poigoune nous livre un message de grande qualité. Victime d’actes de racisme, emprisonné pour avoir protesté contre le colonialisme dans les années 70, et alors que Nidoish Naisseline avait été lui même embastillé pour avoir … diffusé des tracts en Drehu et Nengoné quand l’écriture en langue était interdite (!), il demeure fidèle à ses convictions. Les années ont mûri ce révolté devenu professeur de maths, et honoré par la République. Respect et écoute.
NouméaPost reproduit in extenso ci-après la publication d’Elie Poigoune :
REFERENDUM D’AUTODETERMINATION DE 2018 EN NOUVELLE-CALEDONIE par Elie Poigoune
LIGUE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN DE NOUVELLE-CALÉDONIE·VENDREDI 16 FÉVRIER 2018
1- BREF RAPPEL HISTORIQUE :
Pendant très longtemps, après les débuts de la colonisation en 1853, l’homme kanak ne se sentait pas bien dans sa peau et a même failli disparaitre définitivement dans les années 1900, par découragement et désespoir. Ce mal être et ce mal vivre, il les a exprimés plusieurs fois au cours de son histoire et plus particulièrement à deux occasions :
- En 1878, lorsque le grand chef Ataï s’est révolté dans la région de La Foa pour protester contre l’invasion de ses terres par les colons et leur bétail.
- En 1917, quand le chef Noël et les Kanak de la région de Tipindjé-Pamalé-Koné ont exprimé leur refus de se faire engager pour la guerre en Europe et leur mécontentement face au régime de l’indigénat (cantonnement, impôt de la capitation…)
Des années 1960 à 1984, les Kanak se sont organisés dans différents groupes (Foulards Rouges, Groupe 1878) et partis politiques (UC, PALIKA, PSC, FULK, UPM) pour mener leur combat dans le but de retrouver leur dignité et leur liberté et d’aller à la rencontre de l’autre. Ils se sont d’abord regroupés, en 1979, dans le Front Indépendantiste qui s’est transformé ensuite, en 1984, en FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste). Les revendications essentielles qu’ils ont portées pendant ces années sont la reconnaissance de l’identité culturelle kanak, la récupération totale des terres volées aux Kanak et l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
En 1984, le FLNKS engage des actions sur le terrain pour faire connaitre ses revendications et les faire aboutir.
De 1984 à 1988, les indépendantistes et les non-indépendantistes s’affrontent dans des actions violentes qui secouent profondément tout le Territoire ; il y a des barrages sur les routes, des fusillades, des déplacements d’hommes et de femmes, des occupations de gendarmerie, une prise d’otages et surtout des morts d’hommes, d’un côté et de l’autre.
Citons quelques exemples pour illustrer cette violence :
- Le 18 novembre 1984, près de la tribu de Tiédanite, à Hienghène, une embuscade fait dix morts kanak, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou.
- Le 11 janvier 1985, Yves Tual est tué d’une balle dans la tète à Nassirah, Bouloupari.
- Le 12 janvier 1985, Eloi Machoro et Marcel Nonnaro sont tués à La Foa par les forces de l’ordre.
- En avril 1988 à Ouvéa, quatre gendarmes sont tués et 27 autres pris en otages.
- En mai 1988, lors de l’assaut par les forces de l’ordre de la grotte d’Ouvéa où sont détenus les otages, deux militaires et dix-neuf Kanak sont tués et, parmi eux, Alphonse Dianou.
- En mai 1989, Jean-Marie Tjibaou et Yewene Yewene sont assassinés par Djubéli Wea, abattu à son tour par les forces de l’ordre.
Beaucoup de nos familles ont vécu ces évènements dans la douleur et les larmes.
Le 26 mai 1988, la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou manifeste une volonté commune de mettre un terme à cette période d’affrontements. Les Accords de Matignon-Oudinot en 1988 et celui de Nouméa 10 ans après, permettent à notre Pays de tourner la page du conflit et de la violence, et d’ouvrir une période de paix et de construction, à l’image de cette belle phrase du préambule de l’Accord :
« Le passé a été le temps de la colonisation.
Le présent est le temps du partage par le rééquilibrage.
Et l’avenir doit être le temps de l’identité dans un destin commun ».
L’Accord de Nouméa a été accepté, par référendum, par le peuple français et la population calédonienne ; il définit la vie politique du Territoire pendant une période de 20 ans, soit jusqu’en 2019. Il est aussi la réponse de l’Etat français aux revendications du peuple kanak, d’indépendance ou de son droit de disposer de lui-même. Rappelons pour terminer cette première partie, l’article 1 du Pacte International relatif aux Droits civils et politiques, signé par les grands pays démocratiques dont la France, et où il est justement question de ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes :
- Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
- Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
- Les Etats partie au présent pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des Territoires non autonomes et des Territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unis.
2- L’ACCORD DE NOUMEA :
L’Accord de Nouméa est un accord signé par les indépendantistes, les non-indépendantistes et l’Etat, adopté par référendum national et définissant l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie sur une période de 20 ans, de 1998 à 2019. Le document d’orientation de cet accord comporte 6 parties : L’identité kanak, les institutions, les compétences, le développement économique et social, l’évolution de l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie, l’application de l’Accord.
Nous nous limiterons à la partie concernant les compétences : celles exercées par la Nouvelle-Calédonie, celles exercées par l’Etat, et celles partagées par les deux :
- De 1998 à 2014, la plus grande partie des compétences, à l’exception des régaliennes et de celles qui sont partagées, ont été transférées à la Nouvelle-Calédonie : ces compétences sont exercées par nos élus, soit au Gouvernement de la NC, soit au Congrès, soit dans les trois assemblées de Province.
- Les compétences partagées entre l’Etat et la Nouvelle-Calédonie portent sur les relations internationales et régionales, les étrangers, l’audiovisuel, le maintien de l’ordre, la réglementation minière, les dessertes aériennes internationales, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique.
- Enfin, les compétences régaliennes continuent d’être exercées par l’Etat ; il s’agit de la justice, l’ordre public, la défense, la monnaie et les affaires étrangères.
3 – LE REFERENDUM D’AUTODETERMINATION DE 2018
La période couverte par l’Accord de Nouméa se termine par un référendum d’autodétermination, qui doit se dérouler de la manière suivante :
- Au cours de la quatrième mandature 2014-2019, le Congrès décide de la date du référendum avec une majorité de 3/5.
- Si le Congrès n’a pas fixé cette date avant la dernière année de cette mandature, l’Etat décide de cette date dans cette dernière année.
- La consultation doit porter sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité.
- Si la réponse est négative, une deuxième consultation est organisée, une année après, avec la même question.
- Si la réponse est encore négative, une troisième consultation est organisée, un an après, avec les mêmes modalités.
- Si la réponse est de nouveau négative, les forces politiques se réunissent pour examiner la nouvelle situation.
Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation proposée, l’organisation mise en place par l’Accord de 1998 reste en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière.
Le corps électoral pour ce référendum a été contesté par une partie des indépendantistes emmenée par le RIN (Rassemblement des Indépendantistes Nationalistes). Ce dernier revendique l’inscription automatique, sur la liste électorale référendaire, des électeurs de statut civil coutumier. A ce sujet, un accord a été trouvé lors de la dernière réunion du Comité des Signataires à Paris. Ces inscriptions automatiques auront lieu dans le courant de cette année, dans les modalités établies lors de cette réunion.
Pour ce référendum, vont s’affronter démocratiquement deux points de vue, l’un favorable et l’autre défavorable :
- Au transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie,
- A l’accès à un statut international de pleine responsabilité,
- A l’organisation de la citoyenneté en nationalité.
Chaque camp va défendre son point de vue, avancer ses arguments pour convaincre les électeurs qui auront la décision finale lors du scrutin. Dans cette campagne, l’échange et la confrontation des idées doivent se faire dans le respect des règles de notre démocratie et de nos valeurs. C’est un moment important et fondamental pour l’avenir de notre Pays ; notre capacité à convaincre, à dialoguer, à écouter, à comprendre est essentielle à la construction de cet avenir.
Une fois le résultat connu, notre devoir à tous est de l’accepter et de le respecter. Les uns seront les vainqueurs et les autres, les perdants ; cette situation doit être considérée comme un point de départ pour de nouvelles aventures communes.
Les vainqueurs doivent se garder des postures d’arrogance qui écrasent l’autre et considérer leur victoire avec humilité et conscience des responsabilités qu’elle implique : celle-ci sera d’autant plus grande et plus belle qu’ils sauront faire preuve de bienveillance et de compréhension envers leurs adversaires.
Ceux qui auront perdu doivent accepter le verdict des urnes, ne pas se considérer comme des exclus, des rejetés, mais au contraire, comme des partenaires dans cette nouvelle vie politique. La vie doit continuer dans la paix et le respect des uns et des autres dans ce nouveau cadre démocratique.
POUR CONCLURE
Trente ans après la signature des Accords de Matignon-Oudinot et 43 ans après le début de notre combat pour l’indépendance en 1975, je voudrais dire les choses suivantes :
Nous, Kanak, nous avons retrouvé notre dignité.
Nous avons retrouvé la plus grande partie de nos terres volées.
Nous avons acquis une grande partie des pouvoirs politiques (avec les compétences transférées) pour les exercer dans les Communes, les Provinces, le Congrès et le Gouvernement.
Nous avons acquis une partie des mines de nickel dans le Nord et nous y avons travaillé pour mettre en place l’usine du Nord avec nos élus.
Dans les années 1970, pour justifier notre combat pour l’indépendance, nous avons souvent parlé de l’absence des Kanak dans tous les domaines de la vie culturelle, sociale, économique et politique du Pays ; de leur présence réduite aux stades sportifs, aux temples et aux églises. Je peux affirmer aujourd’hui qu’après 30 ans de construction, nous sommes maintenant présents dans presque tous les domaines : enseignement, encadrement, culture, administration, économie, justice.
Des progrès extraordinaires ont été réalisés pour nous rendre notre dignité et pour le partage des richesses, des connaissances et des pouvoirs dans notre Pays.
La période d’affrontements de 1984 à 1988 et la période de 30 ans de construction depuis la signature des Accords de Matignon-Oudinot, m’ont permis personnellement de découvrir ceux qui sont en face de moi : le métropolitain et le calédonien.
Pour moi, la poignée de main entre nos deux leaders signifie ceci : Hier et avant-hier, le métropolitain et le calédonien, je les ai considérés comme mes ennemis ; je les ai affrontés jusqu’à la violence et les larmes. Aujourd’hui, j’ai choisi de les considérer comme mes frères. Tous les trois, nous devons enterrer ce qui nous divise, ce qui nous faisait nous affronter les uns aux autres ; nous devons mettre de côté le racisme, les discriminations, le mépris, la domination, l’exploitation et mettre en avant des valeurs qui nous rassemblent et nous font grandir comme le respect, la tolérance, l’humilité, la laïcité, la solidarité, le partage, la fraternité, et le travail.
Notre humanité a beaucoup souffert toutes ces années ; elle a été bouleversée et blessée dans les profondeurs de son être et de son âme.
Construire notre Pays, c’est d’abord suivre et respecter jusqu’au bout la feuille de route définie par nos responsables politiques avec les deux accords.
Construire notre Pays, c’est aussi et surtout, reconstruire son humanité après les grandes souffrances que celle-ci a subies depuis 1853 jusqu’aux évènements. Cette humanité est d’une richesse extraordinaire : je l’ai rencontrée dans les tribus, dans les villages, dans la ville, avec les jeunes au collège, au lycée, au Juvénat Lycéen. Je l’ai côtoyée dans le combat pour les droits de l’homme, à la Ligue et plus largement dans le milieu associatif.
A l’intérieur de moi, circule la vie qui est symbolisée, dans ma culture, par le sang. Ce sang est comme une rivière qui coule et qui a pris sa source très loin dans la nuit des temps ; si elle me traverse aujourd’hui, c’est parce que mes pères, mes grand-pères et mes ancêtres ont été à la hauteur de leurs responsabilités à son égard.
Mon devoir, maintenant, est de la faire grandir et la rendre meilleure pour qu’elle puisse continuer son voyage vers le futur.
Elie Poigoune, Président de la LDH de Nouvelle-Calédonie