Les élections présidentielles sont des rendez-vous à double détente. Leurs résultats impacteront la gestion de l’Etat et sa vie politique, mais d’ores et déjà, et davantage encore après le second tour, ils auront des effets sur les situations politiques des territoires, et à court terme, sur les institutions locales. La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à la règle. Premiers effets.
UN PREMIER TOUR DESTRUCTEUR POUR LES RÉPUBLICAINS/UDI
Côté loyaliste, quasiment tout l’échiquier politique s’est mobilisé pour les primaires de la droite et du centre. Résultat : les sarkozystes et les juppéistes, très majoritaires, KO. C’est Fillon qui a gagné. Chacun reprenant ses esprits, report sur Fillon, avec dans l’intervalle, l’épisode « Plan B » consécutif aux ennuis judiciaires du candidat, et à nouveau des soutiens à Juppé. Rien n’y a fait, le « Plan B » a été balayé, et patatras : c’est Fillon qui est passé à la trappe !
Mauvaise surprise, désarroi des troupes, et le sentiment qu’une nouvelle fois, les partis politiques dominants se sont trompés !
LA VAGUE MARINE LE PEN
Mais ce premier tour des présidentielles est marqué par un autre phénomène : la formidable montée de Marine Le Pen.
En Nouvelle-Calédonie, elle sort en tête dans toutes les communes de la côté Ouest à l’exception de Nouméa, Koné et Voh ! Encore faut-il souligner que dans la capitale, elle talonne Fillon dont le score nouméen lui permet in extremis d’afficher une position de n°1 dans le territoire.
Peine perdue, d’ailleurs, puisque désormais, tout se joue entre Le Pen et Macron.
VOTE DE SANCTION ET DE REJET
Immédiatement, les candidats aux élections législatives se jettent dans l’analyse de ces résultats décoiffants. Que signifient ces votes pour Marine Le Pen ?
Point n’est besoin d’être grand clerc pour l’interpréter, à la lumière, d’ailleurs, du scrutin national.
Ce vote envoie trois messages aux décideurs :
- « Nous en avons marre de l’insécurité qui dure depuis plus de 15 ans et qui ne fait que s’aggraver, et accessoirement, de la dégradation économique »
- « Nous ne faisons pas confiance aux partis de gouvernement »
- « Nous commençons à en avoir assez de la bien-pensance de l’Accord de Nouméa ».
Premier point : l’insécurité. Les partis politiques en avaient déjà fait un axe de campagne fort aux élections de … 2004. Depuis, elle n’a fait que croître, notamment dans le domaine de la délinquance, marquée par les cambriolages, les vols de voitures, les incendies de voiture, les comportements agressifs à l’école et dans la rue, les grafitis partout. En brousse, bris de barrière, braconnage, abattage de bétail, caillassages complètent le tableau. Mais le point de rupture a été atteint avec les « événements » de Thio et de Saint Louis, les tirs sur les gendarmes, et une forme d’incapacité de l’Etat à rétablir le respect des lois de la République.
Deuxième point : être maître de la gestion de ses affaires internes, pouvoir conféré aux Calédoniens par notre statut, ne peut les exonérer des désordres qui peuvent s’y produire. C’est ainsi que les électeurs protestataires expriment leur défiance à l’égard des partis de gouvernement qu’ils associent à l’incurie sécuritaire. Viennent s’y ajouter à coup sûr, les difficultés économiques dans le cadre d’une gestion de l’économie qui ne fera pas date dans les manuels de bonne gouvernance.
Troisième point : au delà, ce vote protestataire peut signifier également une lassitude –pour ne pas encore dire un rejet-, de la sempiternelle référence « aux Accords » et au « destin commun » alors que le contexte sécuritaire et économique, qui touche au quotidien des gens, est de moins en moins supportable.
Ce mouvement de protestation et de rejet va-t-il s’amplifier au second tour ? C’est un point important pour qualifier et quantifier son ancrage.
Va-t-il se transformer en vote d’adhésion à Marine Le Pen et au Front National ? C’est du résultat de l’élection présidentielle que cet aspect du vote dépend.
LES CONSÉQUENCES POSSIBLES POUR LES LÉGISLATIVES
Les conséquences des élections présidentielles pour les législatives locales sont déjà perceptibles. Ainsi, la défaite de François Fillon est une déconvenue et un handicap pour le candidat qui avait été investi. Mais elle frappe également les partis qui ont soutenu l’ancien Premier ministre, et qui se trouvent face à un choix entre deux adversaires farouchement combattus : Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Certains ont déjà « pris le vent ».
Gael Yanno se met dans le sillage de Marine Le Pen, espérant ainsi récupérer à Nouméa, les suffrages qui se sont portés sur l’ex-présidente du FN, en même temps que les déçus des Républicains. Si cette stratégie marchait, et que de surcroît Marine Le Pen était élue, nul doute que ce soutien se transformerait en adhésion. Mais il faut d’abord attendre le 7 mai.
Philippe Gomes, lui, a pris la roue de Macron. Philippe Dunoyer, aussi, par voie de conséquence. Un risque : celui que les électeurs ruraux et les Pieds-noirs n’oublient pas la sortie du jeune candidat en Algérie sur sa qualification de la colonisation comme « crime contre l’humanité », alors que la Nouvelle-Calédonie est une terre de colonisation. Une perspective, celle qu’Emmanuel Macron soit élu Président, avec la dynamique que cette victoire conférerait. Un espoir, celui de bénéficier des voix « anticoloniales » en cas de ballotage et de second tour face à un autre candidat loyaliste.
Quant aux autres, ils n’ont pas pris parti. Le Rassemblement, par la voix de Pierre Frogier, pratique le ni-ni. Sonia Backes laisse le choix à l’intelligence des électeurs. Harold Martin ne donne pas de consigne, mais on comprend qu’il comprend les électeurs qui ont voté Marine Le Pen …
UNE ÉLECTION N’EST JAMAIS ARITHMÉTIQUE
« En politique, 1+1, cela fait rarement 2 », rappellent souvent les élus d’expérience. De fait, il serait illusoire de croire que les additions produisent le résultat espéré –ou redouté-. La réalité est plus complexe.
Après « le coup de gueule », certaines fidélités reprendront le dessus, c’est indéniable.
Mais la grande question est aujourd’hui le niveau de désillusion et de lassitude d’un nombre important l’électeurs de Calédonie. Les partis politiques sont anciens oou ont pris un coup de vieux. Les gouvernances successives créent une lassitude à la fois de ces gouvernances –bonnes ou mauvaises-, mais également des gouvernants.
Ici comme en métropole, comme ailleurs, les nouveaux modes de communication, le bombardement informatif accélèrent les « indigestions politiques », et procurent l’envie de changement.
C’est là, peut être, la quatrième surprise qui nous attend, après les primaires à gauche et à droite, le premier tour, puis le second tour des présidentielles : les Calédoniens vont-ils « renverser la table ? »