Tout en rondeur, mais d’une rigueur professionnelle sans faille, il rendait compréhensible cette exigence pour la Nouvelle-Calédonie de bénéficier de spécialistes qu’elle n’a pas encore enfantés. Tel est Patrick Dion, Directeur Général des Enseignements et Vice-Recteur depuis la mise en route effective du transfert du secondaire, et qui vient de regagner la métropole.
« Un exercice d’équilibre difficile entre le ministère central
et le gouvernement local »
Un poste antérieur à Wallis et Futuna lui avait fait connaître quelques spécificités océaniennes. Et cette expérience n’était pas de trop pour une mission très particulière qui lui était assignée : transférer l’enseignement secondaire public, l’enseignement primaire et secondaire privé, la santé scolaire sous l’autorité du gouvernement calédonien, gérer la mise à disposition de 5000 personnels, le tout pour une part de dépenses de l’Etat de 50 milliards FCFP sur les 80 milliards que l’Education Nationale consacre au territoire.
Cerise sur le gâteau, et expérience inédite pour ce haut fonctionnaire : dépendre à la fois du Ministère de l’Education nationale en sa qualité de Vice Recteur, et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en sa qualité de Directeur Général des Enseignements. Un exercice d’équilibre constant entre le puissant ministère parisien, l’Exécutif local et les 27 syndicats que compte l’enseignement !
Non seulement Patrick Dion a su gérer avec tact cette périlleuse responsabilité, mais il a apporté son savoir –que personne n’égale en Nouvelle-Calédonie-, pour bonifier le transfert des dites compétences au profit de l’enseignement calédonien.
« Inflexible
et profondément humain »
Mieux, connu et respecté dans ce bastion que constitue l’Education nationale, cet ancien directeur général du Centre national de documentation pédagogique (CNDP) a relayé avec une redoutable efficacité les requêtes du gouvernement calédonien et des partenaires sociaux quand ces dernières lui semblaient justes. Il en a été ainsi des budgets d’abord, de la Mise à Disposition Globale et Gratuite de 5000 personnels ensuite, des avantages pour les personnels calédoniens enfin. Du stage de Capes localement, à la réduction à 2 ans du stage en métropole des personnels de direction, en passant par une écoute attentive de l’autorité locale -laquelle nomme aux emplois- pour les mouvements de personnels, il a exercé brillamment toutes ses responsabilités et, je pense, gagné l’estime du plus grand nombre au sein de l’enseignement, au cours de son séjour.
Parmi les 17 priorités tracées dès la mi-2012, nous avons ainsi lancé ensemble le plan de 6 milliards et demi pour la rénovation des lycées et des ALP, un plan au sein duquel les priorités données notamment au Lycée de Touho et au Lycée Jules Garnier sont aujourd’hui concrètement traduites dans les travaux sans précédents réalisés. Ce plan s’est naturellement accompagné d’une modernisation essentielle de l’informatique et de la sécurité qui transforme peu à peu la vie lycéenne.
Auparavant, nous avions aussi, ensemble, affronté la première rentrée scolaire « calédonienne » de 2012 marquée par une « traditionnelle » grève, et mis notre volonté à « pacifier » définitivement ces rentrées. Elles sont, depuis, sereines. Pour le plus grand bien des élèves.
Il m’avait accompagné efficacement pour un dialogue rénové avec les associations de parents d’élèves, réunies pour la première fois avec leurs interlocuteurs politique et administratif. Leur demande de correction du bac à Nouméa, pour le bien de l’enseignement et des élèves et qui n’a malheureusement toujours pas trouvé de réponse concrète, date de cette époque.
Le secteur public n’était évidemment pas sa seule préoccupation. Il était attentif à la situation de l’enseignement privé. Mieux, il en reconnaissait les mérites, la place légitime ainsi que les performances.
Je me souviens de l’inauguration de l’auditorium de Blaise Pascal, et Patrick Dion me glissant à l’oreille, admiratif : « Ils ont fait quelque chose de remarquable, avec des budgets contraints. Il faut que nous réalisions un tel équipement dans un lycée public ! »
Ce Vice-Recteur d’exception savait être inflexible, mais profondément humain. C’est dans cet esprit qu’il conduisait le difficile dialogue social au sein de l’enseignement.
« Sa volonté de plaider et de défendre en permanence les dossiers calédoniens avait parfois agacé Paris »
Je peux témoigner qu’il attachait du prix à deux questions particulières, liées au transfert. La première était l’enseignement des langues et de la culture kanak. Dans le strict respect de l’esprit des Accords. Il s’est malheureusement heurté à des conflits internes qui ont fait obstacle à l’épanouissement de ce service. La seconde était la construction des nouveaux lycées de Pouembout et du Mont Dore. Pour lui, l’engagement de l’Etat à réaliser ces équipements ne pouvait souffrir d’hésitation. Je crois savoir que sa volonté de plaider et de défendre en permanence ces dossiers avait parfois agacé Paris.
Car Patrick Dion, comble de l’expatriation, tout en demeurant un haut fonctionnaire de l’Etat loyal à son administration centrale, s’était pris au jeu du transfert. L’histoire montrera peut être qu’il aura su mieux défendre les intérêts de la Nouvelle-Calédonie que ne pourront le faire les Calédoniens eux-mêmes !
« En cas de doute, pour le bien de l’enseignement et des jeunes calédoniens, aucune place ne doit être cédée à la médiocrité. Sous quel prétexte que ce soit. »
Son départ, discret, n’est guère à la hauteur de la reconnaissance que nous devons à son dévouement et de son labeur–Patrick Dion usait d’une capacité de travail peu commune- pour les élèves calédoniens.
Car ce sont les élèves qui sont « au centre du dispositif ». Nous aimions à le rappeler, y compris aux partenaires sociaux.
Fasse que le successeur soit au moins d’un égal dévouement et d’une égale compétence. Mais en cas de doute, pour le bien de l’enseignement et des jeunes calédoniens, aucune place ne doit être cédée à la médiocrité. Sous quel prétexte que ce soit.
Et si d’aventure tel était le cas, la solution la plus sage pour le bien de la prochaine rentrée et de la bonne continuité du service public sera que l’on sollicite une exceptionnelle prolongation de séjour pour ce « patron » d’exception.
Jean-Claude Gaby Briault
Ancien membre du gouvernement
en charge de l’enseignement