Tout ne peut être dit, dans une interview, ce qui laisse le bénéfice du doute. Mais il n’empêche. Les réponses du Président du gouvernement aux journalistes des Nouvelles « pour relancer une économie atone » ont de quoi laisser perplexe. Il y manque l’essentiel : les moyens de la croissance des entreprises. Décryptage.
Le traitement du budget 2016, le premier de la plus grave crise économique que la Calédonie ait à affronter depuis 25 ans, sera, au terme de l’entretien visé, technocratique et habituel : réduction des dépenses, et ouverture de pistes … de réflexion. Il faut toutefois y ajouter l’appel à l’Union Sacrée. Une union qui, sans doute aucun, serait nécessaire, mais un appel peu crédible, après les polémiques provoquées par les autorisations d’exportation de latérites vers la Chine.
… La fiscalité est une compétence de la Calédonie
depuis longtemps …
Plusieurs constats indiqués par le Président de l’Exécutif reflètent cependant la réalité. Parmi ceux là, le manque de « financement dédié » pour financer le régime handicap et les minima vieillesse et retraite. Sauf qu’il convient de compléter l’information en rappelant que le gouvernement Martin avait proposé un financement … refusé par ses ex partenaires de l’Avenir Ensemble.
Ou encore lorsqu’il acquiesce à la question « les politiques se sont-ils trop occupés d’avenir institutionnel et pas assez d’économie ». Cependant « ça tient à l’histoire » parce que « les transferts de compétence sont récents » n’expliquent pas tout. La fiscalité est une compétence de la Calédonie depuis longtemps. Le transfert du droit du travail date de près d’une décennie. Le dialogue social a commencé sa réforme en 2006. Et les réglementations économiques sont de la compétence du territoire depuis plusieurs années.
Mais il faut rendre cette justice à Thierry Cornaille, responsable du budget au gouvernement : depuis sa prise de fonction, il ne cesse de pointer du doigt le cycle inquiétant dans lequel les finances publiques se sont inscrites.
… difficile de trouver
les voies concrètes du développement …
Pour ce qui concerne la relance expliquée par le Président du gouvernement, c’est à dire la reprise de la croissance, les choix de l’agriculture, du foncier et du logement aidé sont difficilement convaincants. « L’idée est de développer la production locale créatrice d’emplois et d’activités induites. L’économie de comptoir doit être remplacée par la création de valeur ajoutée ». Même s’il est question du statut de l’agriculteur, du Smag, du droit de préemption, difficile de trouver les voies concrètes du développement agricole.
Quant au bâtiment, si le logement social et la défiscalisation sont des éléments importants de l’activité, comment réduire la croissance du secteur à ces seuls sujets ?
… Les questions reflètent des interrogations fondées.
Mais le rôle des autorités est justement d’y répondre …
L’analyse des filières de production se traduit essentiellement par des questions. « Des contrats de compétitivité sont en cours de négociation ». Certes. Mais le reste est pétri d’interrogations : en agro-alimentaire « Comment réduit-on les coûts de ces produits ? Que peut faire la politique publique ? Comment la filière peut-elle améliorer son organisation ? » Et les questions se poursuivent. Pour les produits de grande consommation. Pour l’automobile et le transport. « Comment peut-on faire mieux dans la filière ? ». Pour le logement « Comment faire pour que la filière s’organise mieux, afin que les coûts des normes, des études, des matériaux, du gros œuvre et du second œuvre, de la promotion, puissent être réduits ? ».
Quant à l’exportation, des pistes sont tracées. Mais « il faut que » demeure, en général, l’expression d’un voeu.
Certes, toutes ces questions reflètent des interrogations fondées. Mais le rôle des autorités est justement d’y répondre.
L Ȏconomie du Tourisme
est de la compétence
des Provinces
Quant au tourisme, il s’agit simplement un remake. « Il faut une offre suffisante d’au moins 5000 chambres ». « Il faut aussi un offre complète allant du 4 étoiles au gîte ». « La visibilité et la qualité de services sont aussi indispensables ».
Sauf que tout cela avait été écrit, professé, annoncé dans le Plan de Développement Touristique Concerté de Nouvelle-Calédonie … en 2005.
Mais à la décharge du Président du gouvernement, il faut rappeler que l’économie du tourisme est de la compétence des Provinces. La Nouvelle-Calédonie gère le transport aérien et la fiscalité, ce qui en matière de développement touristique, n’est pas rien. Mais n’est pas tout.
L’enjeu est la réforme
de ses politiques publiques,
celles qui seront votées en décembre
Les recettes éculées ne pourront répondre aux difficultés sans précédent auxquelles la Nouvelle-Calédonie doit faire face dès 2016. Les régimes sociaux appellent à l’aide, les finances publiques sont dans le rouge, les entreprises métallurgiques baignent dans le marasme boursier des matières premières, Eramet songe -peut être- à se séparer de sa branche SLN et reporte l’investissement de 100 milliardsFCFP pour la construction de sa nouvelle centrale électrique, Glencore ne répare pas le deuxième four de Koniambo, Valé perd près de 40 milliardsFCFP. Et les entreprises calédoniennes sont en plein doute, orientées vers une croissance zéro. Ou pire.
Ce n’est donc pas seulement en réduisant -même de manière drastique-les dépenses budgétaires des collectivités, en suscitant des questions qui, au demeurant, sont fondées, en indiquant ce qu’il conviendrait de faire ou en reprenant ce qui a échoué il y a 10 ans, que la Calédonie évitera la faillite économique qui s’annonce.
Le Président du gouvernement évoque des sujets importants dans la recherche du redressement des finances publiques. Mais l’essentiel n’y est pas : ce sont les entreprises qui créent la richesse d’un pays, et leur propre croissance provoque l’amélioration des ressources fiscales et sociales.
L’enjeu est la réforme des Politiques Publiques, celles qui seront votées en décembre. L’exigence est de mettre, au cœur de ces politiques, ce qui est nécessaire à la croissance des entreprises calédoniennes. En matière fiscale, en droit du travail, en dialogue social, en formation professionnelle, en réglementation économique, en investissements publics.
Dans le cas contraire, il y a fort à craindre que le vote du budget 2016 ressemble aux débats du Sénat romain qui traitait de procédure alors que l’invasion barbare était aux portes de Rome.