
Il fut parmi les tous premiers bacheliers kanak. Emprisonné pour avoir diffusé des tracts en langue kanak alors qu’écrire en kanak était interdit, ferment du premier « soulèvement » de jeunes kanak avec les Foulards Rouges, acteur de l’anti-colonialisme naissant en Calédonie, fondateur du Palika, révolutionnaire MAIS Grand Chef, Nidoish Naisseline a surtout été l’artisan de la reconstruction de l’identité kanak.
J’avais fait d’une jeune « foulard rouge » la couverture du premier périodique au nom kanak, « Nymakan », que j’avais édité. J’ai repris cette longue histoire -la construction de l’identité kanak- dont j’admire la constance, dans l’Essai – Caldiens – que j’ai écrit sur l’identité des non-kanak en Calédonie. Extrait.
JCGB
Extrait de l’essai « Caldiens »
JC Gaby Briault
COMMENT EN UN DEMI-SIÈCLE, DES ÉTUDIANTS ET DE
JEUNES MÉLANESIENS CONSTRUISENT UNE
REVENDICATION IDENTITAIRE ET CRÉENT LE MOT
« KANAK »
Au début des années 50, il devient de bon ton de parler des
« Autochtones ». L’appellation se généralise. Maurice Lenormand
publie en 1954 « l’évolution politique des Autochtones de la Nouvelle-
Calédonie ». Elle se traduit dans les débats, le langage quotidien, et
dans les actes administratifs. Ainsi, les réserves indigènes deviennent les réserves autochtones.
Canaque,
juron du
capitaine Haddock
Vers la fin des années 60, le politiquement correct impose peu à peu le terme « Mélanésien » (la propriété foncière mélanésienne – Saussol – 1970). Canaque, depuis fort longtemps, était un terme soit méprisant, soit péjoratif. Qui se souvient que même parmi les jurons du Capitaine Haddock, entre cachalot, cataplasme, catachrèse et cercopithèque, …on trouvait le terme canaque ?!
La « révolution kanak », je veux dire par là, l’appropriation du mot canaque, sa valorisation culturelle, puis la transformation même de son orthographe, tout cela est essentiellement l’oeuvre de jeunes intellectuels à partir des années 60. Elle se poursuit jusqu’en 1975. Elle a associé des étudiants Mélanésiens et des étudiants Européens, parmi lesquels notamment Nidoish Naisseline, Dewe Gorodey, Elie Poigoune, FoteTrolue, Henri Bailly ou encore Jean Paul Caillard, Jean Pierre Devillers et Max Chivot.
Rappelons, en effet, que parmi les étudiants calédoniens à Paris dans les années 60, les réflexions sociales et sociologiques bouillonnent.
Elles apparaissent au travers des articles de la revue « Trait d’Union ».
Nidoishe Naisseline qui est l’un des tous premiers mélanésiens à avoir pu accéder au Lycée puis au baccalauréat, publie une série d’essais inspirés d’Aimé Césaire et d’Albert Memmi. Un discours anti-colonialiste émerge. Il est lié à un début de revendication pour la reconnaissance de la culture canaque.
« Canaque
Homme Libre »
En décembre 68, soit sept mois après les événements de mai qui connaîtront des prolongements jusqu’en Nouvelle-Calédonie, des étudiants plus radicaux fondent l’Association des Jeunes Calédoniens de Paris. En février 1969, ils publient une revue baptisée « Canaque Homme Libre ».
Pendant les vacances de juin 1969, des étudiants tentent de radicaliser le débat sur le colonialisme. Un lien se fait entre les articles de « Trait d’Union » et le journal « Sikiss » édité localement. Dans la nuit du 12 juillet 1969, des inscriptions apparaissent sur plusieurs murs de Nouméa : « A bas le colonialisme », « Calédonie Libre ». Quelques activistes sont interpelés.
Une semaine plus tard, le jeune Nidoish Naisseline arrive en vacance, lui aussi, en Nouvelle-Calédonie. Le 7 août, à la veille du procès des auteurs des graphitis prévu le 12 juillet, des messages condamnant « le racisme colonial » et prônant le « boycott des Jeux de Port Moresby » sont inscrits sur des murs de la capitale. Les auteurs sont à leur tour arrêtés.
Le 9 août, alors que Naisseline et une cinquantaine de jeunes kanak sont devant le commissariat de police pour demander la libération des personnes incarcérées, les athlètes de Maré en partance pour les jeux du Pacifique de Port Moresby attachent des foulards rouges autour de leur front et lèvent le poing en signe de protestation. C’est la naissance du mouvement des Foulards Rouges.
Dans le même temps, des jeunes Kanak sont refoulés dans un restaurant proche de la baie des citrons. Ils éditent un tract pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme un acte de ségrégation. Précision importante : ce tract est écrit à la fois en français, en drehu et en nengoné.
Naisseline
jeté en prison
Quelques jours plus tard, lors d’un grand mariage coutumier à Lifou, le pamphlet est distribué à chaque invité, y compris à de hauts fonctionnaires. Nidoish Naisseline y est présent ! Trente personnes sont aussitôt arrêtées.
Parmi les chefs d’inculpation, la rédaction d’un écrit en langue kanak sans autorisation préalable … De retour de Maré, Naisseline et plusieurs autres personnes sont interpelés en possession du tract et pour ce motif. Ils sont conduits au commissariat central de police pour être interrogés. Rapidement, plusieurs centaines de mélanésiens, en majorité des jeunes, font le siège du commissariat.
A la fin de la journée, le fils du Grand Chef de Guama n’étant toujours pas relâché, des bouteilles et des pierres sont lancées contre le bâtiment. Immédiatement, la police charge et disperse les manifestants. Ceux-ci se répandent dans la ville, s’attaquent aux vitrines, aux voitures, à quelques personnes, blessant grièvement un chauffeur de taxi. Trente nouvelles arrestations ont lieu.
L’affaire va connaître des prolongements politiques. L’Union Calédonienne qui dispose de la majorité absolue à l’Assemblée Territoriale, est divisée.
L’Union Calédonienne explose
Yann Celene Uregei fonde
l’Union Multiraciale
Yann Celene Uregei, élu kanak des îles Loyauté, propose une motion de soutien aux manifestants, puis une motion d’autonomie interne. Elles seront toutes deux rejetées.
En 1970, les étudiants canaques de France fondent leur propre association. Ils éditent un journal intitulé « Réveil Canaque » qui est distribué pour la première fois à l’occasion du procès de Nidoish Naisseline. A la fin de cette même année, Yann Celene Uregei quitte l’Union Calédonienne et fonde au début de l’année suivante l’Union Multiraciale de Nouvelle Calédonie. Il reçoit le soutien du mouvement pour le Réarmement Moral.
En mars 1972, Nidoish Naisseline est à nouveau arrêté et condamné à six mois d’emprisonnement pour avoir menacé un représentant de l’Etat. Le « Réveil Canaque » publie un dessin du futur Grand Chef ceint d’un bandeau sur lequel est inscrit le nom d’Ataï.
La revendication identitaire kanak a considérablement progressé. Mais Canaque s’écrit toujours dans le respect de son orthographe originelle, avec « C » et « que ».
En 1974, des Kanak radicaux de la Grande Terre fondent le « groupe 1878 », cette date étant l’année de la révolte d’Ataï. Avec les Foulards Rouges, il peinturlurent la statue du square Olry qui montre la reddition du Grand Chef rebelle. Le 24 septembre de cette année, alors que se déroule le traditionnel défilé sur le front de mer de l’Anse Vata, des leaders du « groupe 1978 » enjambent les barrières et manifestent devant la tribune officielle. Ils sont arrêtés.
Quand Elie Poigoune est emprisonné
pour avoir crié
des slogans anti-colonialistes !
Elie Poigoune sera condamné à deux semaines d’emprisonnement, Henri Bailly à huit jours. Des manifestations s’ensuivent ainsi qu’une campagne de protestation notamment au sein des étudiants en métropole.
Pendant tous ces mois d’ébullition, aggravée par « l’affaire Kamouda » – un jeune Kanak, Richard Kamouda, est tué par un policier au cours d’une échauffourée Place des Cocotiers -, le mot « Kanak » apparaît pour la première fois avec cette orthographe.
La revendication d’indépendance est exprimée aussi bien par le « groupe 1878 » en janvier 1975, que par celui des Foulards Rouges en mars de la même année. C’est Dewe Gorodey qui est chargée de porter leur parole à l’extérieur. En avril, elle se rend à Fidji pour la conférence « Pacific Nuclear Free », puis en juin à New York pour s’exprimer devant le Comité de Décolonisation de l’ONU.
Finalement, en janvier 1976, à Amoa, les deux groupes sautent le pas politique et fondent le Parti de Libération Kanak, le Palika. Le nouveau parti radical édite un journal intitulé « Kanak » en février et tient son premier congrès en mai.
En 1981, Nidoish Naisseline quitte le Palika et crée Libération Kanak et Socialiste, le LKS. De son côté, Yann Celene Uregei abandonne l’appellation modérée d’Union Multiraciale et fonde le Front Uni de Libération Kanak, le Fulk.
Tjibaou accusé
par le Palika
de
« sabotage de la culture Kanak »
Dans l’intervalle, le Festival Mélanésia 2000 organisé par Jean Marie Tjibaou du 3 au 7 septembre 1975, consacre culturellement le mot Kanak. Il lui donne une histoire et un sens avec la célébration de Tea (Tein) Kanaké, le Premier Homme. . « Nous avons voulu ce Festival parce que nous croyons en la possibilité d’échanges plus profonds et plus suivis entre la culture européenne et la culture canaque », déclare Jean Marie Tjibaou dans son discours d’ouverture.
Ce langage alors plutôt modéré est sévèrement critiqué par le Palika qui n’hésite pas à parler de « sabotage de la culture Kanak ». On trouve dans le programme du Festival : Vendredi 5 à 20h – première représentation du jeu scénique « Kanaké ».
Ainsi en 30 années, à l’issue d’une démarche de révolte conduite par des jeunes, relayée par une forte revendication culturelle et identitaire, étayée par un événement culturel, consacrée par les partis nationalistes, canaque est devenu kanak. Un terme dévalorisant et péjoratif est devenu identitaire et reconnu comme tel.
Une construction identitaire
remarquable
« Canaque » était un mot écrit par le colonisateur. « Kanak » fut créé par les Kanak eux-mêmes. Il est, dans le même temps, libérateur.
Aujourd’hui, c’est-.-dire plus de 30 ans après ces événements et cette démarche, le mot s’est imposé, même si certains, aussi bien Européens que Mélanésiens, ont encore du mal à « s’y faire ». Il est vrai que d’autres événements, bien plus graves, se sont déroulés dans l’intervalle, entre 1984 et 1988, et qu’ils ont été lancés par le FLNKS, le Front de Libération Kanak et Socialiste.
Désormais, dans un contexte apaisé, l’identité kanak est inscrite dans la loi et elle a fait consensus. Toute cette construction, chevillée patiemment pendant un demi-siècle, est remarquable.
JCGB