Si les indépendantistes ont adhéré au texte fondamental de l’Accord de Nouméa – son préambule – c’est que cet écrit, jugé à juste titre remarquable, dessine les principes d’un nationalisme calédonien.
C’est l’analyse sans détour qui peut en être faite à sa lecture sous le prisme du discours de Renan de 1862 prononcé à la Sorbonne sur le thème « Qu’est-ce qu’une nation ? ».
En résumé, le futur académicien suggère dans ce célèbre exposé que ni la fidélité à une dynastie, ni la race, ni la langue, ni la religion, ni l’intérêt économique, ni enfin la géographie ne définissent une nation. Chacun de ces sujets, traité de l’antiquité à l’Europe de l’époque, n’apparaît à ses yeux fondamental dans la construction d’un « identité nationale ».
« Une âme, Un principe spirituel »
Pour Ernest Renan, probablement inspiré par « le Peuple » de Michelet édité 14 ans auparavant, « une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
Le préambule de l’Accord de Nouméa prescrit que « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun ». Il scelle un parcours historique émaillé « d’ombres et de lumière » pour en faire un patrimoine commun dans la perspective du « destin commun » et du désir de vivre ensemble.
On trouve là les éléments du passé et du présent décrits par Renan pour constituer « l’âme » et « le principe spirituel » d’une nation : d’un côté, un héritage historique commun et, de l’autre, la volonté de vivre ensemble aujourd’hui. Et demain.
« L’Accord de Nouméa peut aboutir à l’éclosion d’une nation »
Ce constat n’est pas en soi révolutionnaire. En effet, l’Accord de Nouméa est façonné de telle manière qu’il puisse, dans un cas sur deux, aboutir à l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, c’est à dire à l’éclosion d’une nation.
Cette dernière hypothèse souffre cependant de handicaps apparaissant, pour l’heure, insurmontables.
Sur le passé, un travail considérable a été effectué. La reconnaissance de l’identité kanak n’en est pas le moindre.
Les « non kanak » – terme qui m’insupporte -, ont de leur côté accepté d’assumer ce passé, y compris l’histoire du bagne, sujet tabou dans de nombreux milieux, pendant plus d’un siècle.
Il leur manque l’essentiel : la reconnaissance par eux-mêmes et par les kanak, de leur propre identité. Celle que j’appelle de mes voeux, et qui est l’identité caldienne.
« Cette perspective se heurte aux choix institutionnels antagonistes »
Mais le handicap le plus lourd, et peut être insurmontable, pour accéder à un principe de nation, est la perception du « vivre ensemble » et du « destin commun ». On voit bien que cette perspective se heurte aux choix institutionnels antagonistes, et qu’elle est contrecarrée par l’arithmétique électorale.
Ainsi, le texte essentiel de l’Accord de Nouméa fut-il aisément accepté par les indépendantistes qui y trouvent le fondement d’un nationalisme calédonien, après qu’il eussent renoncé au concept de nationalisme kanak.
La réponse à ces spéculations viendra-t-elle d’un referendum « couperet » et conçu comme tel, ou d’une nouvelle solution consensuelle à l’image de celle adoptée en 1998 ?
Les indépendantistes peuvent-ils trouver dans un principe de souveraineté excluant la souveraineté internationale la satisfaction à leur revendication par définition « nationaliste » ?
C’est tout l’enjeu de la période qui se clôturera par les trois consultations d’autodétermination.
JCG Briault